Makibook
Chroniques d'une évasion littéraire
BD > Histoire
B O R G I A | DU SANG POUR LE PAPE (tome 1)
Milo Manara / Alejandro Jodorowsky - 2004
Glénat - 54 pages
20/20
L'ascension du cardinal Rodrigo Borgia
L'intrigue se déroule à Rome à la fin du XVe siècle. La cité est ravagée par la luxure, les pillages et la peste.
Le cardinal Rodrigo Borgia est au chevet du pape Innocent VIII dont les jours sont comptés. Il espère profondément devenir le prochain pape et n'hésite point, pour cela, à fomenter des complots et même éliminer sans pitié ses adversaires.
Devant les dangers d'empoisonnement et autres pièges qui menacent aussi sa famille, il envoie ses quatre enfants loin de Rome afin de les protéger : Joffre est ainsi confié à une cousine, Lucrèce est menée au couvent de Saint-Sixte pour étudier, Giovanni est voué à une éducation militaire tandis que César part pour l'université de Pise faire de la théologie.
Rodrigo Borgia va alors manuvrer sans foi ni loi pour obtenir le titre de chef de l'église catholique.
Ce premier tome se lit rapidement, l'intrigue est facile à comprendre car le scénario de Jodorowsky est concis et limpide. Cela permet une bonne initiation à l'histoire des Borgia pour ceux qui, comme moi, en ont seulement entendu parler. Je ne ferai donc aucun commentaire sur la véracité des faits car je n'ai pas les connaissances requises.
Quoi qu'il en soit, l'histoire contée constitue un excellent canevas pour poser les somptueux dessins du maître italien Milo Manara. C'est tout simplement éblouissant. Les aquarelles sont colorées, lumineuses, restituées dans de grandes cases propices à la rêverie. Et le dessin est du même acabit : brillant.
Manara, en véritable descendant des grands peintres italiens de la Renaissance, dessine ses personnages comme peu d'auteurs savent le faire. Les visages, pourtant faits de quelques traits, sont terriblement réalistes et l'art de la composition est parfaitement maîtrisé.
Le lecteur averti retrouvera bien évidemment dans ce volume, contexte historique oblige, de magnifiques femmes aux corps dénudés sujets aux vices les plus inavouables. Manara a donné ses lettres de noblesse à l'érotisme au sein du 9ème art et il le prouve ici une fois de plus.
[Critique publiée le 10/03/23]
L E C A R A V A G E | LA PALETTE ET L'ÉPÉE (tome 1)
Milo Manara - 2015
Glénat - 60 pages
17/20
Deux maîtres pour le prix d'un !
Milo Manara raconte dans sa nouvelle uvre la vie sulfureuse du talentueux Caravage.
Michelangelo da Caravaggio est né à Milan en 1571. En 1592, il s'installe à Rome afin de lancer sa carrière de peintre.
Les débuts sont assez chaotiques. Le Caravage côtoie des cardinaux et aristocrates mais aussi des bandits et prostituées. Rome est une ville où tout peut arriver et l'homme en fait l'expérience à travers les relations qu'il entame.
Ce premier tome décrit son ascension dans l'univers des ateliers de peinture où élèves et maîtres travaillent durement sur la représentation de scènes vivantes et réalistes. Le Caravage est vite remarqué pour son talent et son aisance picturale. Mais son caractère ténébreux et bagarreur lui fait parfois délaisser les pinceaux pour manier l'épée et mener des combats dans les quartiers sordides de la ville pontificale.
La vie de l'italien, à cheval sur les XVIe et XVIIe siècles, contient évidemment de nombreuses zones d'ombre. Manara rapporte ici certains faits historiques véridiques mais se glisse également dans les interstices de la biographie officielle pour romancer les aventures du célèbre peintre.
Les modèles artistiques et les prostituées sont bien sûr l'occasion pour l'auteur italien de dessiner des femmes plus ou moins dénudées. Honorablement, cela reste au service de l'histoire et ne fait pas office d'alibi pour sombrer dans un érotisme vulgaire. Par ailleurs, le nu est revenu en force à la Renaissance. L'attrait pour la culture antique et la beauté des corps ainsi que le désir d'exercer ses talents en représentant la morphologie humaine, sujet sans doute le plus difficile, sont les principales raisons qui expliquent la profusion de personnages dévêtus.
De ce point de vue, Manara ne pouvait manquer de rendre hommage à cet univers ! Le maître italien de l'érotisme dessine à merveille ses personnages. Son aisance au crayon n'est plus à démontrer depuis bien longtemps. Néanmoins, chacune de ses créations continue de fasciner le lecteur.
Osons le dire : Manara, à travers le 9ème art, poursuit le travail des grands peintres italiens. Et Dieu sait si l'Italie en était pourvue...
Le seul gros bémol concerne la mise en couleur.
L'auteur de bande dessinée a délaissé l'aquarelle pour composer avec des teintes numériques. Cela se ressent fortement dans les premières pages où les ciels renvoient une froideur métallique. Les visages manquent aussi de profondeur. Les ambiances plus sombres dans la suite de l'album permettent d'atténuer ce désagrément.
Mais je ne comprends pas qu'une souris informatique puisse remplacer la douceur d'un poil de martre équipant un pinceau pour lavis. Surtout lorsque l'on se réfère à l'art du Caravage !
[Critique publiée le 03/09/17]
A I R B O R N E 4 4 | LÀ OÙ TOMBENT LES HOMMES (tome 1) / DEMAIN SERA SANS NOUS (tome 2)
Philippe Jarbinet - 2009
Casterman - 96 pages
18/20
Des aquarelles à couper le souffle
Nous sommes en décembre 1944. La seconde guerre mondiale touche à sa fin mais fait encore rage. Preuve en est avec la terrible bataille des Ardennes qui vient de débuter : Hitler lance une offensive gigantesque pour percer le front occidental des alliés et reconquérir le port stratégique d'Anvers.
Les combats se déroulent dans des conditions exécrables. Le relief des montagnes, le froid, la boue et la neige constituent un véritable cauchemar pour les allemands et leurs ennemis.
Le personnage principal de ce diptyque, Luther Yepsen, est un GI d'origine allemande. Lui et ses compagnons recueillent deux enfants juifs partis à la recherche de leurs parents qu'ils croient encore vivants...
Parallèlement, à quelques encablures de là, des SS sont chargés d'une mission par Himmler en personne. Ils doivent capturer Egon Kellerman, un déserteur qui détient de précieuses informations pour les alliés quant à la tragédie qui se joue pour les juifs.
Le destin va se faire croiser l'allemand Kellerman et l'américain Yepsen dans la ferme réconfortante de Gabrielle qui vit seule avec ses chevaux après avoir tout perdu durant de longues années de guerre.
La découverte de l'extermination des juifs, le retour d'un mari considéré comme mort, la détresse de deux jeunes enfants innocents, la naissance d'une histoire d'amour impossible entre Luther et Gabrielle, l'âpreté des combats dans la neige, l'absurdité de la guerre et la folie destructrice des SS sont quelques-uns des thèmes déroulés avec brio dans ces quatre-vingt-seize pages de récit.
Philippe Jarbinet a construit un scénario très solide et parfaitement documenté. Soucieux de coller au plus près la réalité historique, ce professeur de dessin en Belgique a mené de nombreuses recherches afin d'approfondir ses connaissances et ne pas trahir la grande Histoire.
Seul aux manettes, il est aussi le dessinateur et le peintre de cette bande dessinée. J'utilise volontairement le mot « peintre » car la mise en couleur est faite intégralement à l'aquarelle et le travail est considérable. On pense volontiers à l'univers de Gibrat...
Jarbinet utilise les deux techniques en aquarelle : le sec et le mouillé. Ainsi, quasiment tous les ciels sont représentés dans le mouillé. Cela signifie que l'auteur laisse l'eau diffuser les pigments des gris de Payne et autres teintes habituellement utilisées pour les ciels gris et bas d'hiver. Pour le reste (personnages, véhicules, bâtiments, ...), le sec est privilégié.
Quelle gageure de s'être lancé dans la représentation de cette période qui se déroule en hiver et donc dans la neige !
Le blanc en aquarelle est particulier à saisir car c'est celui du papier qui doit être conservé dès le début de la mise en couleur (même si une gomme de masquage peut être utilisée). Seuls quelques rehauts à la gouache blanche sont encore possibles pour des finitions sur de toutes petites surfaces (l'écume de la mer par exemple).
Pour les Ardennes, l'auteur a donc réalisé un travail magnifique, un labeur minutieux d'authentique artisan de la bande dessinée. Le 9ème art prend ici tout son sens et ce genre d'uvre sort nettement du lot des titres de piètre qualité qui envahissent la production éditoriale dans l'univers de la bande dessinée.
Enfin, il est intéressant de suivre l'évolution de la mise en couleur entre le début et la fin de l'album. La même scène y est représentée et le traitement de la neige a changé. Dans la première, l'épaisseur de la neige est alourdie par le trait noir de l'encre ; dans la seconde, le trait n'y figure plus, allégeant et aérant ainsi considérablement la représentation de la neige.
[Critique publiée le 27/10/15]
A I R B O R N E 4 4 | OMAHA BEACH (tome 3) / DESTINS CROISÉS (tome 4)
Philippe Jarbinet - 2011 / 2012
Casterman - 96 pages
17/20
Magnifique diptyque centré sur le 6 juin 1944
Gavin, dix-sept ans, est en vacances avec ses parents sur les plages de Normandie. Nous sommes en 1938 et cette famille américaine est venue dans ce lieu précis car la maman en est originaire.
Le jeune homme en profite pour découvrir la superbe région normande et faire quelques balades bucoliques au bord de la mer. Il y rencontre une jeune fille, de quelques années son aînée, avec qui il noue une forte relation amoureuse.
Joanne, qui vit dans le coin, fait découvrir à son américain sa Normandie faite de petits chemins creux, de virées à bicyclette, de beaux manoirs et de bocages ensoleillés...
Après cet été inoubliable, Gavin continue de correspondre avec son amie depuis l'Amérique. La seconde guerre mondiale a éclaté et conduit les américains à entrer dans le conflit ; Gavin est contraint de participer au débarquement du 6 juin 1944.
C'est au cur même de cette Normandie si apaisante autrefois qu'il va devoir combattre et faire face à la folie d'Hitler. Affrontant le tir nourri des batteries allemandes, Gavin se lance sur Omaha Beach, avec l'espoir fugace de revoir Joanne et la crainte permanente de prendre une balle ennemie en plein crâne...
À nouveau, Philippe Jarbinet tisse un récit sensible et haletant mêlant habilement la grande Histoire aux récits de vie intimes de quelques personnages ordinaires.
Le dessinateur ne s'est pas facilité la tâche en prenant pour cadre le débarquement de Normandie. Il s'en sort bien et a su représenter avec précision et efficacité cet épisode tragique et salvateur de la seconde guerre mondiale.
Mais à travers la bande dessinée, le cinéma ou la littérature, peut-on faire véritablement revivre cette journée cataclysmique avec vérité et authenticité ? L'art peut-il représenter un événement qui n'aura trouvé sa seule intensité que dans l'instant présent ?
Comme tous les artistes qui ont voulu, par devoir de mémoire avant tout, raconter cette journée depuis plus de soixante-dix ans, Jarbinet tente de restituer « au mieux » l'horreur, la peur, le bruit, le froid, la mort omniprésente.
Il dénonce également à travers son travail l'absurdité de la guerre : américains, anglais ou allemands, beaucoup étaient des gamins avec les mêmes rêves éloignés de toute velléité. Sans la folie de quelques leaders et autres généraux, ils n'auraient jamais osé porter une arme et la pointer sur un type de leur âge.
Ce second diptyque est relié de façon intelligente et habile au premier via les personnages de Joanne et Luther...
Même si les similitudes avec l'univers de l'auteur de bande dessinée Jean-Pierre Gibrat sont assez évidentes, les récits de Jarbinet se terminent eux toujours par des images heureuses ; rappelons-nous la fin dramatique dans Le sursis par exemple. À titre personnel, je pense qu'une conclusion tragique donne plus de relief à l'histoire.
Sur le plan pictural, le blanc est beaucoup moins présent que dans les deux premiers tomes. Cela induit un traitement de mise en couleur à l'aquarelle moins aéré et, à mes yeux, moins intéressant techniquement. Malgré cela, la qualité reste la même que précédemment en terme de dessin et de couleur.
Bref, parmi la production phénoménale dans le monde de la bande dessinée aujourd'hui, la série Airborne 44 est une valeur sûre qu'il ne faudrait en aucun cas louper !
[Critique publiée le 27/10/15]
A I R B O R N E 4 4 | S'IL FAUT SURVIVRE (tome 5) / L'HIVER AUX ARMES (tome 6)
Philippe Jarbinet - 2014 / 2015
Casterman - 112 pages
19/20
Un auteur de BD complet
Le récit se déroule durant l'hiver 1944. Dans l'est de la France, les combats font rage entre les alliés et les allemands.
Tessa, pilote pour le compte d'une organisation civile anglaise de convoyage aérien, s'écrase avec son P-51 Mustang lors d'une course-poursuite avec un avion allemand. Miraculée, elle parvient à s'enfuir et à se réfugier dans une ferme située derrière les lignes allemandes près de Bastogne en Belgique.
Tom et Sebastian, deux soldats de l'armée américaine, s'inquiètent du sort réservé à leur amie Tessa. En mission dans le secteur où son appareil a disparu, les deux hommes se mettent à sa recherche.
Du coté allemand, l'histoire suit le destin de Stefan qui est le frère de Sebastian. Stefan a tout misé sur Hitler et son désir d'étendre le IIIe Reich à toute l'Europe. Il est aussi en mission en Belgique et est prêt à tuer son frère si cela est justifié dans le cadre de la guerre.
Le lecteur suit ainsi ces quatres personnages dont les destins sont intimement liés.
L'auteur, par un flash-back détaillé, raconte comment Tessa, Tom, Sebastian et Stefan se sont rencontrés au début des années 40. Tous appartenaient à ces familles de paysans du Kansas qui ont été chassés de leurs terres par des banquiers peu attentifs aux problèmes de sécheresse qui ont sévit à cette époque.
Philippe Jarbinet publie à nouveau un diptyque très soigné sur tous les plans.
Pour l'histoire, il mêle avec habileté différents chemins de vie dans le contexte de la fin de la seconde guerre mondiale. Je ne connais pas cette période de façon aussi pointue que celle d'un historien mais il apparaît que l'auteur est extrêmement fidèle à la réalité et s'est amplement documenté sur le sujet. Cette bande dessinée se révèle donc être également un ouvrage didactique sur certaines opérations stratégiques militaires dans l'Europe des années 40.
Ce tome se termine par un rappel de la découverte par les alliés des camps de concentration éparpillés dans les pays de l'est. Il fallait le voir pour y croire, le fixer sur pellicule pour ne jamais oublier ce qui deviendra un énorme traumatisme dans l'histoire de l'humanité.
Sur le plan graphique, la barre est très haute. Jarbinet poursuit son travail d'artisan de la couleur en peignant chaque case en couleur directe. Le travail à l'aquarelle est considérable et place Airborne 44 loin devant la grande majorité des publications actuelles dans le 9ème art.
[Critique publiée le 19/04/19]
M U R E N A | LA POURPRE ET L'OR (tome 1)
Philippe Delaby / Jean Dufaux - 1997
Dargaud - 48 pages
17/20
Rome au temps de Néron et Agrippine
Nous sommes en mai 54 dans la Rome antique.
Claude, empereur de la première puissance mondiale, est mariée à Agrippine. Cette dernière a fait en sorte qu'il reconnaisse son fils Néron issu d'une précédente union. Elle nourrit en effet le secret espoir de conduire celui-ci à la place du César.
Cela est sans compter sur Britannicus, demi-frère de Néron et fils biologique de l'empereur Claude, fruit d'un ancien mariage. Bien que plus jeune que le fils adoptif et donc non prioritaire à la succession du pouvoir, celui-ci est finalement choisit par l'empereur qui avance de deux ans sa date de majorité. En effet, Claude compte rompre avec Agrippine car il s'est épris de Lollia, sa maîtresse et aussi mère de Murena, le héros de la série. Souhaitant coûte que coûte diriger l'empire à travers son fils Néron, la terrible et sulfureuse Agrippine va tout faire pour parvenir à ses fins...
Cette nouvelle uvre dépoussière totalement l'époque de la Rome antique en bande dessinée qui était jusqu'à présent surtout célébrée à travers les fameuses aventures d'Alix mises en scène par Jacques Martin dès les années 50.
Le scénario solide de Jean Dufaux est très fidèle à l'histoire authentique et permet donc aux lecteurs de se plonger avec divertissement dans les complots de l'Antiquité romaine au moment où Néron prenait le pouvoir.
Sexe, violence et argent étaient déjà au cur de toutes les attentions et permettaient aux individus malveillants de manipuler avec efficacité leurs concitoyens.
Le dessin de Philippe Delaby est très soigné dans ce premier tome. Issu des beaux-arts belges, cet auteur maîtrise parfaitement la représentation des corps, décors et perspectives.
À noter que le graphisme va grandement s'améliorer tout au long de la série Murena jusqu'à atteindre la perfection selon moi. Pourquoi donc se priver d'une bande dessinée qui allie histoire et dessins époustouflants et qui, par sa rigueur et sa quête d'authenticité, est aujourd'hui devenue une référence dans le milieu universitaire des historiens ?!
[Critique publiée le 13/10/12]
M U R E N A | DE SABLE ET DE SANG (tome 2)
Philippe Delaby / Jean Dufaux - 1999
Dargaud - 48 pages
17/20
Violence, complots et trahisons
Néron est sacré empereur et prend donc la place de son beau-père, Claude, à la grande satisfaction d'Agrippine.
En distribuant des deniers ici et là, il a réussi à convaincre la garde prétorienne ainsi que le sénat de sa légitimité au sein de la dynastie julio-claudienne.
Murena, quant à lui, enquête avec son ami, l'écrivain Pétrone, sur le meurtre de sa mère. Ses observations le mènent rapidement sur la voie de l'empereur dont certains centurions semblent prêts à tout pour arrondir leurs fins de mois...
Ne souhaitant pas se trahir auprès de son ami, Néron réglera avec violence le sort des acteurs du meurtre de Lollia Paulina. Il s'entichera par ailleurs de la ravissante Acté qu'il a sortie d'une misère sexuelle organisée par son proxénète Pallas, également ancien affranchi et homme de main de la démoniaque Agrippine. Celui-ci va alors se venger du César et de sa mère en se rapprochant de Britannicus pour lui rappeler que son père Claude l'avait promis à devenir empereur avant de passer de vie à trépas...
Le jeune Britannicus réussira-t-il à s'imposer sur le trône ?
Ce second tome est à la hauteur du premier. Le scénario qui relate une course au pouvoir faite de complexité et de multiples rebondissements est clair et limpide. Les personnages sont maintenant bien identifiés et le lecteur peut se les approprier facilement.
Murena est le seul personnage principal fictif de cette série. Il a été créé afin de fournir une vision extérieure sur la vie de Néron et est habilement exploité par les auteurs comme le témoin de la folie naissante de son ami empereur. Pour le moment, le praticien possède une philosophie de vie saine, une psychologie lissée.
Néron, lui, a bien changé dans ce second opus et n'hésite pas à employer la violence, tant physique que verbale, pour parvenir à ses fins. Aussi Agrippine commence à perdre le monopole du pouvoir.
Enfin, le jeune Britannicus est la grande victime des ambitions de ses ainés. Seul un esclave qu'il avait fait gracier auprès de son père Claude lui restera fidèle et dévoué.
La série Murena propose une interprétation de faits historiques relatés un demi-siècle après leurs déroulements par les historiens Tacite et Suétone. Le sujet est donc toujours source de questionnements sur la véracité des événements entre les spécialistes de cette période trouble de l'empire romain. Grâce au travail du tandem Dufaux/Delaby, le néophyte a aussi maintenant accès à cette passionnante tragédie. Et il ne faudrait surtout pas s'en priver !
[Critique publiée le 13/10/12]
M U R E N A | LA MEILLEURE DES MÈRES (tome 3)
Philippe Delaby / Jean Dufaux - 2001
Dargaud - 46 pages
18/20
Scission à la tête de l'empire
L'empereur interroge la sorcière Locuste et apprend la vérité sur la mort de son prédécesseur Claude.
Pour protéger sa mère une dernière fois, Néron va jusqu'à mentir à son ami Murena et le rejeter de la cour. En effet, celui-ci continue son enquête sur le meurtre de Lollia Paulina avec l'aide de son riche ami Pétrone chez lequel il s'est désormais installé en compagnie de la charmante esclave Arsilia.
Quant à la mort de Britannicus, les rumeurs vont bon train et ne feront au final que diviser encore davantage les deux clans réunis autour de Néron et Agrippine.
L'ambiance dans les hautes sphères de Rome est donc régit par les trahisons, complots et règlements de compte. Agrippine est de plus en plus isolée tandis que Néron se voit poser un terrible dilemme : marcher dans les combines terrifiantes de sa mère et perdre ses plus fidèles conseillers et amis (dont Murena et sa tante Domitia accusée à tort d'être à la tête de l'insurrection des esclaves) ou mettre définitivement fin aux agissements de la ténébreuse impératrice.
Petit à petit, pour Néron, une seule issue fatale va se profiler à l'horizon de son destin...
L'album consacre également de nombreuses pages aux combats d'esclaves. Ainsi, le dévoué Balba, l'affranchi noir anciennement au service de Britannicus, est défié par le terrible Massam, véritable machine à tuer. Le numide va alors devenir le fidèle de Murena chez qui il retrouvera la même haine envers le machiavélique Néron.
Toujours rien à dire concernant la qualité du scénario de Dufaux et des dessins de Delaby. Ce premier cycle est riche en intrigues et tient ses promesses. L'apprentissage de l'histoire romaine vu sous cet angle devient totalement passionnant.
Les visages féminins ou masculins, patibulaires ou charmants sont admirablement représentés par le dessinateur belge. Admirez donc ces gros plans d'Agrippine à travers la finesse de ses lèvres, l'harmonie de ses dents, les traits réguliers de son visage, la délicatesse de ses yeux. Le travail artisanal réalisé à l'aquarelle vient rehausser le tout et n'affadit en rien le crayonné initial comme on le voit malheureusement dans nombre de bandes dessinées où les aplats de couleur numérique déshonorent lamentablement le dessin.
[Critique publiée le 13/10/12]
M U R E N A | CEUX QUI VONT MOURIR... (tome 4)
Philippe Delaby / Jean Dufaux - 2002
Dargaud - 46 pages
18/20
Le dernier acte de la tragédie
An 58 de notre ère, quatre années se sont écoulées depuis le sacre de l'empereur Néron.
Celui-ci voit désormais dans sa génitrice une ennemie de premier plan. Agrippine va pourtant tenter d'abuser une nouvelle fois de ses charmes auprès de son propre fils !
Acté met alors en garde Néron car l'issue fatale de plusieurs années de complot risque de se jouer imminemment. Elle fait ainsi preuve de diplomatie en négociant auprès de l'empereur le retour de son ancien compagnon, Murena. Ce dernier, obsédé par la poursuite du tueur de sa mère, n'acceptera qu'à une seule condition : connaître l'identité du meurtrier et pouvoir le défier.
La vengeance de Murena se verra ainsi concrétisée par le combat des esclaves Draxius et Balba.
Agrippine, acculée dans ses derniers retranchements, n'a cependant pas dit son dernier mot envers son fils. Sa dernière arme prendra l'apparence d'une femme fatale : la somptueuse Poppée...
Le dernier tome de ce premier cycle consacré à l'influence de la mère de Néron sur celui-ci s'ouvre par un long billet de Michael Green, chercheur au King's College et consultant pour le film Gladiator. Il écrit ainsi qu'il « admire Murena, en tant qu'historien, car la série fera connaître l'Antiquité romaine, plus vite et sans doute mieux que tous les livres d'histoire - y compris ceux que j'ai commis ».
Globalement, la série Murena rencontre un très gros succès et plusieurs spécialistes louent les qualités didactiques et la clarté du récit.
Côté dessin, il est aisé de constater son évolution en mettant côte à côte les tomes 1 et 4. Le graphisme devient à présent époustouflant !
[Critique publiée le 13/10/12]
M U C H A C H O | (tome 1)
Emmanuel Lepage - 2004
Dupuis - 72 pages
20/20
Plongée au cur du Nicaragua
« Nicaragua, novembre 1976. » Ainsi débutent les premières images du diptyque Muchacho.
Gabriel, jeune peintre séminariste, est envoyé par Joaquin auprès du père Rubén. Quittant le très conservateur séminaire de la capitale Managua, Gabriel va découvrir la réalité de son pays dans le petit village de San Juan. Missionné pour peindre la Passion dans l'église locale, Gabriel va devoir bouleverser toutes les idées reçues et, sous l'impulsion de Rubén, remplacer les poussiéreuses icônes religieuses par la vive réalité de la pauvreté sociale du Nicaragua.
C'est donc le parcours d'un jeune garçon dans un contexte politique dur que nous conte cette histoire. À travers son regard, on découvre une communauté sous tension ou révolutionnaires sandinistes et pro-conservateurs vivent tant bien que mal ensemble.
Des psychologies humaines denses et très proches de la complexe réalité donnent à cette uvre une dimension puissante. Amour et drame se mêlent et se démêlent sous la férule de la Guardia qui n'hésite pas à jouer les bourreaux avec ce peuple de paysans.
Images fortes et violentes, mystérieuses parfois avec ce révolutionnaire qui, caché derrière son masque de sandiniste, remercie Gabriel.
Bref, ce premier tome est très très bon. Le scénario est soigné et se termine sur un point d'interrogation. Peu de dialogues, beaucoup de suggestions à travers cette bande dessinée qui fait presque figure de roman graphique.
On connaissait déjà les qualités de dessinateur d'Emmanuel Lepage, on les redécouvre avec plaisir : couleurs chaudes de l'aquarelle, douceur du trait, beauté des visages, c'est là un grand artiste, assurément. Une uvre riche en émotion qui procure un intense bonheur de lecture et qui, de plus, a le mérite de rendre passionnant un événement historique loin de nous : la révolution sandiniste qui en 1979 renversa la dictature de Somoza pour instaurer une démocratie dirigée par Daniel Ortega.
Plus que jamais, la bande
M U C H A C H O | (tome 2)
Emmanuel Lepage - 2006
Dupuis - 90 pages
20/20
Magistral !!!
Suite et fin de cette aventure qui raconte la révolution sandiniste en 1979 au Nicaragua à travers le regard d'un adolescent à la recherche de son identité.
Gabriel De La Serna, en pleine rébellion contre l'ordre familial et la dictature de Somoza, a fui dans la forêt. Blessé, il devra sa survie à un petit groupe de guérilleros qui va le recueillir et lui apporter un peu de réconfort.
Quatre homme et une femme vont désormais constituer sa nouvelle famille de cur : Rigo, le rêveur dont la fiancée a été arrêtée par la Guardia ; Germán, le chef de la troupe et sa compagne Manuela. Viennent ensuite Ramón au caractère bien trempé et Fausto, troublant par sa sensibilité et sa beauté...
Le groupe détient un otage américain nommé Mac Douglas. C'est un atout non négligeable car les yankees soutenaient le gouvernement du Nicaragua pour mater la révolution et préserver leur suprématie américaine dans cette zone de l'Amérique centrale.
Ils ont ainsi une monnaie d'échange pour négocier la libération d'autres guérilleros. Mais c'est sans compter la jungle et ses nombreux dangers.
Cachés dans cet univers hostile, ces hommes et cette femme, « porteurs des rêves de tout un continent qui souffre », devront faire preuve de courage et de ténacité.
Affamés, ils prendront le risque de s'exposer à l'armée en pénétrant dans un petit village de paysans. Gabriel y découvrira l'extrême violence entre les hommes et sera sérieusement ébranlé dans sa foi religieuse.
Survivront-ils tous à cette épopée sanguinaire ?
Notre héros, lui, se raccrochera à l'amour qu'il vivra avec passion au sein du clan sandiniste. Emmanuel Lepage traite ici un sujet déjà exploité dans sa série antérieure Névé : la découverte de l'homosexualité chez un jeune homme. Grand sujet qui fait l'éloge de la différence.
D'autres passions humaines sont également retranscrites dans ce microcosme de révolutionnaires. Trahisons, maladies, jalousies n'épargneront personne malgré la recherche commune d'une société idéale.
Mais le personnage principal de cette bande dessinée est peut-être finalement le contexte politique du Nicaragua en 1979 : la lutte des sandinistes pour destituer le président Somoza de son pouvoir. De ce point de vue, le lecteur en apprend bien plus que dans un livre d'histoire. Cette révolution est le début d'une émancipation des pays d'Amérique centrale sous la férule des puissants États-Unis.
Côté dessin, l'auteur briochin fait des merveilles. Son coup de pinceau est fabuleux. C'est à mes yeux l'un des plus grands artistes actuels du 9ème art.
Chaque case est un tableau. Maître dans l'art de l'aquarelle, Lepage peint des décors grandioses aux dominantes bleues, vertes et ocres.
Lors d'une rencontre en 2009 à Perros-Guirec, il m'a avoué avoir totalement imaginé la nature exubérante du Nicaragua, pays qu'il a parcouru mais sans s'enfoncer dans la forêt.
Au final, le lecteur sera agréablement surpris par des arbres aux racines gigantesques et une mangrove peu attirante par la faune qu'elle doit cacher...
Emmanuel Lepage est un nom à retenir. Il excelle dans un art qui commence enfin à être vraiment reconnu.
[Critique publiée le 02/06/09]
L ' É P E R V I E R | LE TRÉPASSÉ DE KERMELLEC (tome 1)
Patrice Pellerin - 1994
Dupuis - 48 pages
17/20
Le meilleur moyen pour découvrir Brest avant sa reconstruction
Brest 1740... Yann de Kermeur est capitaine de vaisseau du roi. La Méduse et son équipage sont armés au port de Brest. Mandé par le comte de Kermellec, Yann se rend à la propriété du vieil homme. À peine arrivé, il est alerté par un coup de feu venant de la petite chapelle du domaine en bordure de falaise. Le capitaine y découvrira le comte agonisant avec pour dernières paroles une vague référence aux « larmes de Tlaloc »...
Trouvé armé auprès du défunt, Yann de Kermeur sera accusé à tort de meurtre. Sauvé in extremis de la pendaison par la petite-fille du comte de Kermellec, Yann réussira à échapper des mains de la justice.
Une justice qui n'est guère très noblement représentée puisque c'est le marquis de la Motte, représentant véreux du roi à Brest, qui fera de cette cavale une affaire personnelle. Son navire arraisonné, son équipage arrêté, Yann sera conduit à fuir Brest avec l'aide de son amie Marion. Mis au courant de la terrible méprise qui rend Yann coupable d'un crime qu'il n'a pas commis, Cha-Ka, son frère de sang, va tout faire pour tenter de l'aider. C'est sur la presqu'île de Crozon que le jeune capitaine trouvera refuge et se préparera à affronter le grondement des canons armés par le marquis de la Motte à son intention.
Cette bande dessinée retrace l'épopée d'un corsaire du roi au XVIIIe siècle.
Sous le trait magnifique de Patrice Pellerin et son souci du détail historique, le lecteur est invité à un voyage dans le Brest du Siècle des Lumières. L'intrigue est menée avec rigueur et clarté rendant la lecture fluide et agréable. De nombreux rebondissements viennent ponctuer le récit et les caractères des personnages sont bien trempés.
L'intérêt de cette série est avant tout historique et Pellerin a fait dans ce domaine un véritable travail de recherche.
Dernière mise à jour :
[ - Site internet personnel de chroniques littéraires. Mise à jour régulière au gré des nouvelles lectures ]
Copyright MAKIBOOK - Toute reproduction interdite
contact [at] makibook.fr