Makibook
Chroniques d'une évasion littéraire
BD > Histoire
B O R G I A | DU SANG POUR LE PAPE (tome 1)
Milo Manara / Alejandro Jodorowsky - 2004
Glénat - 54 pages
20/20
L'ascension du cardinal Rodrigo Borgia
L'intrigue se déroule à Rome à la fin du XVe siècle. La cité est ravagée par la luxure, les pillages et la peste.
Le cardinal Rodrigo Borgia est au chevet du pape Innocent VIII dont les jours sont comptés. Il espère profondément devenir le prochain pape et n'hésite point, pour cela, à fomenter des complots et même éliminer sans pitié ses adversaires.
Devant les dangers d'empoisonnement et autres pièges qui menacent aussi sa famille, il envoie ses quatre enfants loin de Rome afin de les protéger : Joffre est ainsi confié à une cousine, Lucrèce est menée au couvent de Saint-Sixte pour étudier, Giovanni est voué à une éducation militaire tandis que César part pour l'université de Pise faire de la théologie.
Rodrigo Borgia va alors manuvrer sans foi ni loi pour obtenir le titre de chef de l'église catholique.
Ce premier tome se lit rapidement, l'intrigue est facile à comprendre car le scénario de Jodorowsky est concis et limpide. Cela permet une bonne initiation à l'histoire des Borgia pour ceux qui, comme moi, en ont seulement entendu parler. Je ne ferai donc aucun commentaire sur la véracité des faits car je n'ai pas les connaissances requises.
Quoi qu'il en soit, l'histoire contée constitue un excellent canevas pour poser les somptueux dessins du maître italien Milo Manara. C'est tout simplement éblouissant. Les aquarelles sont colorées, lumineuses, restituées dans de grandes cases propices à la rêverie. Et le dessin est du même acabit : brillant.
Manara, en véritable descendant des grands peintres italiens de la Renaissance, dessine ses personnages comme peu d'auteurs savent le faire. Les visages, pourtant faits de quelques traits, sont terriblement réalistes et l'art de la composition est parfaitement maîtrisé.
Le lecteur averti retrouvera bien évidemment dans ce volume, contexte historique oblige, de magnifiques femmes aux corps dénudés sujets aux vices les plus inavouables. Manara a donné ses lettres de noblesse à l'érotisme au sein du 9ème art et il le prouve ici une fois de plus.
[Critique publiée le 10/03/23]
L E C A R A V A G E | LA PALETTE ET L'ÉPÉE (tome 1)
Milo Manara - 2015
Glénat - 60 pages
17/20
Deux maîtres pour le prix d'un !
Milo Manara raconte dans sa nouvelle uvre la vie sulfureuse du talentueux Caravage.
Michelangelo da Caravaggio est né à Milan en 1571. En 1592, il s'installe à Rome afin de lancer sa carrière de peintre.
Les débuts sont assez chaotiques. Le Caravage côtoie des cardinaux et aristocrates mais aussi des bandits et prostituées. Rome est une ville où tout peut arriver et l'homme en fait l'expérience à travers les relations qu'il entame.
Ce premier tome décrit son ascension dans l'univers des ateliers de peinture où élèves et maîtres travaillent durement sur la représentation de scènes vivantes et réalistes. Le Caravage est vite remarqué pour son talent et son aisance picturale. Mais son caractère ténébreux et bagarreur lui fait parfois délaisser les pinceaux pour manier l'épée et mener des combats dans les quartiers sordides de la ville pontificale.
La vie de l'italien, à cheval sur les XVIe et XVIIe siècles, contient évidemment de nombreuses zones d'ombre. Manara rapporte ici certains faits historiques véridiques mais se glisse également dans les interstices de la biographie officielle pour romancer les aventures du célèbre peintre.
Les modèles artistiques et les prostituées sont bien sûr l'occasion pour l'auteur italien de dessiner des femmes plus ou moins dénudées. Honorablement, cela reste au service de l'histoire et ne fait pas office d'alibi pour sombrer dans un érotisme vulgaire. Par ailleurs, le nu est revenu en force à la Renaissance. L'attrait pour la culture antique et la beauté des corps ainsi que le désir d'exercer ses talents en représentant la morphologie humaine, sujet sans doute le plus difficile, sont les principales raisons qui expliquent la profusion de personnages dévêtus.
De ce point de vue, Manara ne pouvait manquer de rendre hommage à cet univers ! Le maître italien de l'érotisme dessine à merveille ses personnages. Son aisance au crayon n'est plus à démontrer depuis bien longtemps. Néanmoins, chacune de ses créations continue de fasciner le lecteur.
Osons le dire : Manara, à travers le 9ème art, poursuit le travail des grands peintres italiens. Et Dieu sait si l'Italie en était pourvue...
Le seul gros bémol concerne la mise en couleur.
L'auteur de bande dessinée a délaissé l'aquarelle pour composer avec des teintes numériques. Cela se ressent fortement dans les premières pages où les ciels renvoient une froideur métallique. Les visages manquent aussi de profondeur. Les ambiances plus sombres dans la suite de l'album permettent d'atténuer ce désagrément.
Mais je ne comprends pas qu'une souris informatique puisse remplacer la douceur d'un poil de martre équipant un pinceau pour lavis. Surtout lorsque l'on se réfère à l'art du Caravage !
[Critique publiée le 03/09/17]
A I R B O R N E 4 4 | LÀ OÙ TOMBENT LES HOMMES (tome 1) / DEMAIN SERA SANS NOUS (tome 2)
Philippe Jarbinet - 2009
Casterman - 96 pages
18/20
Des aquarelles à couper le souffle
Nous sommes en décembre 1944. La seconde guerre mondiale touche à sa fin mais fait encore rage. Preuve en est avec la terrible bataille des Ardennes qui vient de débuter : Hitler lance une offensive gigantesque pour percer le front occidental des alliés et reconquérir le port stratégique d'Anvers.
Les combats se déroulent dans des conditions exécrables. Le relief des montagnes, le froid, la boue et la neige constituent un véritable cauchemar pour les allemands et leurs ennemis.
Le personnage principal de ce diptyque, Luther Yepsen, est un GI d'origine allemande. Lui et ses compagnons recueillent deux enfants juifs partis à la recherche de leurs parents qu'ils croient encore vivants...
Parallèlement, à quelques encablures de là, des SS sont chargés d'une mission par Himmler en personne. Ils doivent capturer Egon Kellerman, un déserteur qui détient de précieuses informations pour les alliés quant à la tragédie qui se joue pour les juifs.
Le destin va se faire croiser l'allemand Kellerman et l'américain Yepsen dans la ferme réconfortante de Gabrielle qui vit seule avec ses chevaux après avoir tout perdu durant de longues années de guerre.
La découverte de l'extermination des juifs, le retour d'un mari considéré comme mort, la détresse de deux jeunes enfants innocents, la naissance d'une histoire d'amour impossible entre Luther et Gabrielle, l'âpreté des combats dans la neige, l'absurdité de la guerre et la folie destructrice des SS sont quelques-uns des thèmes déroulés avec brio dans ces quatre-vingt-seize pages de récit.
Philippe Jarbinet a construit un scénario très solide et parfaitement documenté. Soucieux de coller au plus près la réalité historique, ce professeur de dessin en Belgique a mené de nombreuses recherches afin d'approfondir ses connaissances et ne pas trahir la grande Histoire.
Seul aux manettes, il est aussi le dessinateur et le peintre de cette bande dessinée. J'utilise volontairement le mot « peintre » car la mise en couleur est faite intégralement à l'aquarelle et le travail est considérable. On pense volontiers à l'univers de Gibrat...
Jarbinet utilise les deux techniques en aquarelle : le sec et le mouillé. Ainsi, quasiment tous les ciels sont représentés dans le mouillé. Cela signifie que l'auteur laisse l'eau diffuser les pigments des gris de Payne et autres teintes habituellement utilisées pour les ciels gris et bas d'hiver. Pour le reste (personnages, véhicules, bâtiments, ...), le sec est privilégié.
Quelle gageure de s'être lancé dans la représentation de cette période qui se déroule en hiver et donc dans la neige !
Le blanc en aquarelle est particulier à saisir car c'est celui du papier qui doit être conservé dès le début de la mise en couleur (même si une gomme de masquage peut être utilisée). Seuls quelques rehauts à la gouache blanche sont encore possibles pour des finitions sur de toutes petites surfaces (l'écume de la mer par exemple).
Pour les Ardennes, l'auteur a donc réalisé un travail magnifique, un labeur minutieux d'authentique artisan de la bande dessinée. Le 9ème art prend ici tout son sens et ce genre d'uvre sort nettement du lot des titres de piètre qualité qui envahissent la production éditoriale dans l'univers de la bande dessinée.
Enfin, il est intéressant de suivre l'évolution de la mise en couleur entre le début et la fin de l'album. La même scène y est représentée et le traitement de la neige a changé. Dans la première, l'épaisseur de la neige est alourdie par le trait noir de l'encre ; dans la seconde, le trait n'y figure plus, allégeant et aérant ainsi considérablement la représentation de la neige.
[Critique publiée le 27/10/15]
A I R B O R N E 4 4 | OMAHA BEACH (tome 3) / DESTINS CROISÉS (tome 4)
Philippe Jarbinet - 2011 / 2012
Casterman - 96 pages
17/20
Magnifique diptyque centré sur le 6 juin 1944
Gavin, dix-sept ans, est en vacances avec ses parents sur les plages de Normandie. Nous sommes en 1938 et cette famille américaine est venue dans ce lieu précis car la maman en est originaire.
Le jeune homme en profite pour découvrir la superbe région normande et faire quelques balades bucoliques au bord de la mer. Il y rencontre une jeune fille, de quelques années son aînée, avec qui il noue une forte relation amoureuse.
Joanne, qui vit dans le coin, fait découvrir à son américain sa Normandie faite de petits chemins creux, de virées à bicyclette, de beaux manoirs et de bocages ensoleillés...
Après cet été inoubliable, Gavin continue de correspondre avec son amie depuis l'Amérique. La seconde guerre mondiale a éclaté et conduit les américains à entrer dans le conflit ; Gavin est contraint de participer au débarquement du 6 juin 1944.
C'est au cur même de cette Normandie si apaisante autrefois qu'il va devoir combattre et faire face à la folie d'Hitler. Affrontant le tir nourri des batteries allemandes, Gavin se lance sur Omaha Beach, avec l'espoir fugace de revoir Joanne et la crainte permanente de prendre une balle ennemie en plein crâne...
À nouveau, Philippe Jarbinet tisse un récit sensible et haletant mêlant habilement la grande Histoire aux récits de vie intimes de quelques personnages ordinaires.
Le dessinateur ne s'est pas facilité la tâche en prenant pour cadre le débarquement de Normandie. Il s'en sort bien et a su représenter avec précision et efficacité cet épisode tragique et salvateur de la seconde guerre mondiale.
Mais à travers la bande dessinée, le cinéma ou la littérature, peut-on faire véritablement revivre cette journée cataclysmique avec vérité et authenticité ? L'art peut-il représenter un événement qui n'aura trouvé sa seule intensité que dans l'instant présent ?
Comme tous les artistes qui ont voulu, par devoir de mémoire avant tout, raconter cette journée depuis plus de soixante-dix ans, Jarbinet tente de restituer « au mieux » l'horreur, la peur, le bruit, le froid, la mort omniprésente.
Il dénonce également à travers son travail l'absurdité de la guerre : américains, anglais ou allemands, beaucoup étaient des gamins avec les mêmes rêves éloignés de toute velléité. Sans la folie de quelques leaders et autres généraux, ils n'auraient jamais osé porter une arme et la pointer sur un type de leur âge.
Ce second diptyque est relié de façon intelligente et habile au premier via les personnages de Joanne et Luther...
Même si les similitudes avec l'univers de l'auteur de bande dessinée Jean-Pierre Gibrat sont assez évidentes, les récits de Jarbinet se terminent eux toujours par des images heureuses ; rappelons-nous la fin dramatique dans Le sursis par exemple. À titre personnel, je pense qu'une conclusion tragique donne plus de relief à l'histoire.
Sur le plan pictural, le blanc est beaucoup moins présent que dans les deux premiers tomes. Cela induit un traitement de mise en couleur à l'aquarelle moins aéré et, à mes yeux, moins intéressant techniquement. Malgré cela, la qualité reste la même que précédemment en terme de dessin et de couleur.
Bref, parmi la production phénoménale dans le monde de la bande dessinée aujourd'hui, la série Airborne 44 est une valeur sûre qu'il ne faudrait en aucun cas louper !
[Critique publiée le 27/10/15]
A I R B O R N E 4 4 | S'IL FAUT SURVIVRE (tome 5) / L'HIVER AUX ARMES (tome 6)
Philippe Jarbinet - 2014 / 2015
Casterman - 112 pages
19/20
Un auteur de BD complet
Le récit se déroule durant l'hiver 1944. Dans l'est de la France, les combats font rage entre les alliés et les allemands.
Tessa, pilote pour le compte d'une organisation civile anglaise de convoyage aérien, s'écrase avec son P-51 Mustang lors d'une course-poursuite avec un avion allemand. Miraculée, elle parvient à s'enfuir et à se réfugier dans une ferme située derrière les lignes allemandes près de Bastogne en Belgique.
Tom et Sebastian, deux soldats de l'armée américaine, s'inquiètent du sort réservé à leur amie Tessa. En mission dans le secteur où son appareil a disparu, les deux hommes se mettent à sa recherche.
Du coté allemand, l'histoire suit le destin de Stefan qui est le frère de Sebastian. Stefan a tout misé sur Hitler et son désir d'étendre le IIIe Reich à toute l'Europe. Il est aussi en mission en Belgique et est prêt à tuer son frère si cela est justifié dans le cadre de la guerre.
Le lecteur suit ainsi ces quatres personnages dont les destins sont intimement liés.
L'auteur, par un flash-back détaillé, raconte comment Tessa, Tom, Sebastian et Stefan se sont rencontrés au début des années 40. Tous appartenaient à ces familles de paysans du Kansas qui ont été chassés de leurs terres par des banquiers peu attentifs aux problèmes de sécheresse qui ont sévit à cette époque.
Philippe Jarbinet publie à nouveau un diptyque très soigné sur tous les plans.
Pour l'histoire, il mêle avec habileté différents chemins de vie dans le contexte de la fin de la seconde guerre mondiale. Je ne connais pas cette période de façon aussi pointue que celle d'un historien mais il apparaît que l'auteur est extrêmement fidèle à la réalité et s'est amplement documenté sur le sujet. Cette bande dessinée se révèle donc être également un ouvrage didactique sur certaines opérations stratégiques militaires dans l'Europe des années 40.
Ce tome se termine par un rappel de la découverte par les alliés des camps de concentration éparpillés dans les pays de l'est. Il fallait le voir pour y croire, le fixer sur pellicule pour ne jamais oublier ce qui deviendra un énorme traumatisme dans l'histoire de l'humanité.
Sur le plan graphique, la barre est très haute. Jarbinet poursuit son travail d'artisan de la couleur en peignant chaque case en couleur directe. Le travail à l'aquarelle est considérable et place Airborne 44 loin devant la grande majorité des publications actuelles dans le 9ème art.
[Critique publiée le 19/04/19]
M U R E N A | LA POURPRE ET L'OR (tome 1)
Philippe Delaby / Jean Dufaux - 1997
Dargaud - 48 pages
17/20
Rome au temps de Néron et Agrippine
Nous sommes en mai 54 dans la Rome antique.
Claude, empereur de la première puissance mondiale, est mariée à Agrippine. Cette dernière a fait en sorte qu'il reconnaisse son fils Néron issu d'une précédente union. Elle nourrit en effet le secret espoir de conduire celui-ci à la place du César.
Cela est sans compter sur Britannicus, demi-frère de Néron et fils biologique de l'empereur Claude, fruit d'un ancien mariage. Bien que plus jeune que le fils adoptif et donc non prioritaire à la succession du pouvoir, celui-ci est finalement choisit par l'empereur qui avance de deux ans sa date de majorité. En effet, Claude compte rompre avec Agrippine car il s'est épris de Lollia, sa maîtresse et aussi mère de Murena, le héros de la série. Souhaitant coûte que coûte diriger l'empire à travers son fils Néron, la terrible et sulfureuse Agrippine va tout faire pour parvenir à ses fins...
Cette nouvelle uvre dépoussière totalement l'époque de la Rome antique en bande dessinée qui était jusqu'à présent surtout célébrée à travers les fameuses aventures d'Alix mises en scène par Jacques Martin dès les années 50.
Le scénario solide de Jean Dufaux est très fidèle à l'histoire authentique et permet donc aux lecteurs de se plonger avec divertissement dans les complots de l'Antiquité romaine au moment où Néron prenait le pouvoir.
Sexe, violence et argent étaient déjà au cur de toutes les attentions et permettaient aux individus malveillants de manipuler avec efficacité leurs concitoyens.
Le dessin de Philippe Delaby est très soigné dans ce premier tome. Issu des beaux-arts belges, cet auteur maîtrise parfaitement la représentation des corps, décors et perspectives.
À noter que le graphisme va grandement s'améliorer tout au long de la série Murena jusqu'à atteindre la perfection selon moi. Pourquoi donc se priver d'une bande dessinée qui allie histoire et dessins époustouflants et qui, par sa rigueur et sa quête d'authenticité, est aujourd'hui devenue une référence dans le milieu universitaire des historiens ?!
[Critique publiée le 13/10/12]
M U R E N A | DE SABLE ET DE SANG (tome 2)
Philippe Delaby / Jean Dufaux - 1999
Dargaud - 48 pages
17/20
Violence, complots et trahisons
Néron est sacré empereur et prend donc la place de son beau-père, Claude, à la grande satisfaction d'Agrippine.
En distribuant des deniers ici et là, il a réussi à convaincre la garde prétorienne ainsi que le sénat de sa légitimité au sein de la dynastie julio-claudienne.
Murena, quant à lui, enquête avec son ami, l'écrivain Pétrone, sur le meurtre de sa mère. Ses observations le mènent rapidement sur la voie de l'empereur dont certains centurions semblent prêts à tout pour arrondir leurs fins de mois...
Ne souhaitant pas se trahir auprès de son ami, Néron réglera avec violence le sort des acteurs du meurtre de Lollia Paulina. Il s'entichera par ailleurs de la ravissante Acté qu'il a sortie d'une misère sexuelle organisée par son proxénète Pallas, également ancien affranchi et homme de main de la démoniaque Agrippine. Celui-ci va alors se venger du César et de sa mère en se rapprochant de Britannicus pour lui rappeler que son père Claude l'avait promis à devenir empereur avant de passer de vie à trépas...
Le jeune Britannicus réussira-t-il à s'imposer sur le trône ?
Ce second tome est à la hauteur du premier. Le scénario qui relate une course au pouvoir faite de complexité et de multiples rebondissements est clair et limpide. Les personnages sont maintenant bien identifiés et le lecteur peut se les approprier facilement.
Murena est le seul personnage principal fictif de cette série. Il a été créé afin de fournir une vision extérieure sur la vie de Néron et est habilement exploité par les auteurs comme le témoin de la folie naissante de son ami empereur. Pour le moment, le praticien possède une philosophie de vie saine, une psychologie lissée.
Néron, lui, a bien changé dans ce second opus et n'hésite pas à employer la violence, tant physique que verbale, pour parvenir à ses fins. Aussi Agrippine commence à perdre le monopole du pouvoir.
Enfin, le jeune Britannicus est la grande victime des ambitions de ses ainés. Seul un esclave qu'il avait fait gracier auprès de son père Claude lui restera fidèle et dévoué.
La série Murena propose une interprétation de faits historiques relatés un demi-siècle après leurs déroulements par les historiens Tacite et Suétone. Le sujet est donc toujours source de questionnements sur la véracité des événements entre les spécialistes de cette période trouble de l'empire romain. Grâce au travail du tandem Dufaux/Delaby, le néophyte a aussi maintenant accès à cette passionnante tragédie. Et il ne faudrait surtout pas s'en priver !
[Critique publiée le 13/10/12]
M U R E N A | LA MEILLEURE DES MÈRES (tome 3)
Philippe Delaby / Jean Dufaux - 2001
Dargaud - 46 pages
18/20
Scission à la tête de l'empire
L'empereur interroge la sorcière Locuste et apprend la vérité sur la mort de son prédécesseur Claude.
Pour protéger sa mère une dernière fois, Néron va jusqu'à mentir à son ami Murena et le rejeter de la cour. En effet, celui-ci continue son enquête sur le meurtre de Lollia Paulina avec l'aide de son riche ami Pétrone chez lequel il s'est désormais installé en compagnie de la charmante esclave Arsilia.
Quant à la mort de Britannicus, les rumeurs vont bon train et ne feront au final que diviser encore davantage les deux clans réunis autour de Néron et Agrippine.
L'ambiance dans les hautes sphères de Rome est donc régit par les trahisons, complots et règlements de compte. Agrippine est de plus en plus isolée tandis que Néron se voit poser un terrible dilemme : marcher dans les combines terrifiantes de sa mère et perdre ses plus fidèles conseillers et amis (dont Murena et sa tante Domitia accusée à tort d'être à la tête de l'insurrection des esclaves) ou mettre définitivement fin aux agissements de la ténébreuse impératrice.
Petit à petit, pour Néron, une seule issue fatale va se profiler à l'horizon de son destin...
L'album consacre également de nombreuses pages aux combats d'esclaves. Ainsi, le dévoué Balba, l'affranchi noir anciennement au service de Britannicus, est défié par le terrible Massam, véritable machine à tuer. Le numide va alors devenir le fidèle de Murena chez qui il retrouvera la même haine envers le machiavélique Néron.
Toujours rien à dire concernant la qualité du scénario de Dufaux et des dessins de Delaby. Ce premier cycle est riche en intrigues et tient ses promesses. L'apprentissage de l'histoire romaine vu sous cet angle devient totalement passionnant.
Les visages féminins ou masculins, patibulaires ou charmants sont admirablement représentés par le dessinateur belge. Admirez donc ces gros plans d'Agrippine à travers la finesse de ses lèvres, l'harmonie de ses dents, les traits réguliers de son visage, la délicatesse de ses yeux. Le travail artisanal réalisé à l'aquarelle vient rehausser le tout et n'affadit en rien le crayonné initial comme on le voit malheureusement dans nombre de bandes dessinées où les aplats de couleur numérique déshonorent lamentablement le dessin.
[Critique publiée le 13/10/12]
M U R E N A | CEUX QUI VONT MOURIR... (tome 4)
Philippe Delaby / Jean Dufaux - 2002
Dargaud - 46 pages
18/20
Le dernier acte de la tragédie
An 58 de notre ère, quatre années se sont écoulées depuis le sacre de l'empereur Néron.
Celui-ci voit désormais dans sa génitrice une ennemie de premier plan. Agrippine va pourtant tenter d'abuser une nouvelle fois de ses charmes auprès de son propre fils !
Acté met alors en garde Néron car l'issue fatale de plusieurs années de complot risque de se jouer imminemment. Elle fait ainsi preuve de diplomatie en négociant auprès de l'empereur le retour de son ancien compagnon, Murena. Ce dernier, obsédé par la poursuite du tueur de sa mère, n'acceptera qu'à une seule condition : connaître l'identité du meurtrier et pouvoir le défier.
La vengeance de Murena se verra ainsi concrétisée par le combat des esclaves Draxius et Balba.
Agrippine, acculée dans ses derniers retranchements, n'a cependant pas dit son dernier mot envers son fils. Sa dernière arme prendra l'apparence d'une femme fatale : la somptueuse Poppée...
Le dernier tome de ce premier cycle consacré à l'influence de la mère de Néron sur celui-ci s'ouvre par un long billet de Michael Green, chercheur au King's College et consultant pour le film Gladiator. Il écrit ainsi qu'il « admire Murena, en tant qu'historien, car la série fera connaître l'Antiquité romaine, plus vite et sans doute mieux que tous les livres d'histoire - y compris ceux que j'ai commis ».
Globalement, la série Murena rencontre un très gros succès et plusieurs spécialistes louent les qualités didactiques et la clarté du récit.
Côté dessin, il est aisé de constater son évolution en mettant côte à côte les tomes 1 et 4. Le graphisme devient à présent époustouflant !
[Critique publiée le 13/10/12]
M U R E N A | LA DÉESSE NOIRE (tome 5)
Philippe Delaby / Jean Dufaux - 2006
Dargaud - 48 pages
18/20
Poppée prend la place d'Agrippine
Rome, année 62. Néron a éliminé sa mère Agrippine qui le manipulait afin d'avoir le contrôle total sur Rome et l'empire romain. Elle a cependant eu le temps de préparer sa vengeance avant de disparaître en poussant dans les bras de son fils une nouvelle favorite du nom de Poppée.
Quant à Acté, l'ancienne fille de joie dont Néron était éperdument amoureux, elle va désormais trouver refuge dans les bras de Lucius Murena...
Le jeune César devient de plus en plus mégalo. Malgré les conseils du sage Sénèque et les vers de poésie censés l'apaiser du jeune Pétrone, il prend à ses côtés le terrible combattant Massam qui use de la violence sans état d'âme pour éliminer tous les obstacles se dressant sur la route du pouvoir de son maître. Ce dernier doit entre autres faire face à des rumeurs l'accusant d'avoir fait assassiner son jeune demi-frère Britannicus.
Son image d'empereur est notamment mise à mal dans une course de chars au Circus Maximus où, devant 150 000 spectateurs, une femme portant un masque rouge et particulièrement douée pour la conduite de quadrige blesse son honneur en remportant l'épreuve...
Plus que jamais, les dessins de Delaby sont d'une grande finesse. Il excelle notamment dans les visages romains masculins et féminins. L'importance du corps et l'absence de pudeur dans la société romaine permet au dessinateur d'exprimer tout son talent.
Quant aux couleurs à l'aquarelle, c'est Jérémy Petiqueux qui arrive aux manettes de ce nouveau cycle. C'est lui-même qui assurera dessins et couleurs du quatrième cycle dès 2025 !
Dufaux écrit toujours un scénario de qualité et ses descriptions de Rome peuvent être très immersives à travers les textes seuls : « Et ils s'enfoncèrent dans Rome, la ville gouffre, la ville puits, la ville marécage. Rues étroites, tordues, suintantes, chariots aux roues éclatées, cadavres de chiens aux entrailles répandues, éternels chantiers ouverts à la pluie, haleine fétide du soleil, fumée des réchauds, odeurs des plats répandus sur des tuniques crasseuses, sueur de l'ail et du vin, cortèges funèbres qui glacent, masques hilares qui hoquètent, prostituées qui étalent leurs fards, proxénètes qui couchent leurs désirs, mendiants qui cachent leur haine. Rome digère, Rome recrache, Rome ne garde rien ! »
On s'y croit totalement...
[Critique publiée le 10/11/25]
M U R E N A | LE SANG DES BÊTES (tome 6)
Philippe Delaby / Jean Dufaux - 2007
Dargaud - 48 pages
18/20
Péripéties jusqu'en Gaulle
La traque de tous ceux qui insultent Néron en lui attribuant le meurtre de Britannicus se poursuit. Massam se charge de cette besogne et parvient à trouver la cachette de l'ancien gladiateur Balba ainsi que de la mystérieuse femme au masque rouge qui avait défié l'empereur ; ils sont dans le Cloaca Maxima qui est le principal égout de Rome. Mais Massam reçoit un violent coup de glaive dans l'abdomen lors de l'altercation avec Balba...
De son côté, Murena, accompagné de son ami Pétrone, se venge de la trahison commise par Arsilia qui lui a fait perdre la douce Actée. Poppée ainsi que Néron doivent se rendre à l'évidence : Lucius Murena veut s'attaquer au pouvoir romain duquel provient selon lui l'origine des malheurs qui ont frappé sa mère et maintenant son amante.
Nous sommes en l'an 62 de notre ère, Néron épouse Poppée qu'il a mise enceinte et Tigellin devient le commandant de la garde prétorienne de Rome.
Le lieu de l'action se déplace ensuite, dans la seconde moitié du récit, pour suivre le périple de Murena et Balba dans le sud de la Gaulle. Toujours à la recherche d'Actée, le héros de la série souhaite rallier le camp romain où la belle est partie de force avec le centurion Sardius Agricola. La présence d'un druide fou nommé Cervarix et l'esprit de rébellion des gaulois à l'encontre de l'envahisseur romain vont sceller le destin de nos protagonistes.
Dans ce tome, Lucius Murena devient un personnage bien plus sombre. Auparavant modéré dans l'appréhension des événements, il n'hésite plus à organiser sciemment sa vengeance ni même à tuer de sang-froid. Son tragique périple en Gaulle ne va faire que renforcer sa colère et sa haine envers l'empereur romain.
L'histoire avance doucement, cela permet une grande lisibilité du récit aussi bien dans la partie fictionnelle que dans celle reproduisant avec rigueur et didactisme les complots et autres coups tordus s'étant réellement passé dans les hauts cercles du pouvoir. C'est tout simplement passionnant à lire.
Du côté du dessin, Delaby nous offre un changement total de décor avec les paysages enneigés de la Gaulle. Le traitement des couleurs froides de l'hiver est exemplaire une fois de plus et vient équilibrer à merveille l'étouffante chaleur romaine.
[Critique publiée le 10/11/25]
M U R E N A | VIE DES FEUX (tome 7)
Philippe Delaby / Jean Dufaux - 2009
Dargaud - 54 pages
19/20
Sous la protection de la déesse Vesta
L'album s'ouvre avec délice sur huit pages reprenant des croquis de Philippe Delaby. On y voit notamment la finesse de ses dessins de visages mis en valeur par l'aspect crayonné en noir et blanc ainsi que son travail de perfectionniste dans la représentation des architectures et décors romains basés sur les points et lignes de fuite encore visibles à ce stade de la création.
L'histoire débute ensuite là où elle s'était arrêtée dans le tome précédent : en Gaulle où Evix, responsable indirecte de la mort d'Actée, prend la tête d'une horde de combattants prêts à en découdre avec l'envahisseur romain.
En Italie, Néron, en souffrance après avoir perdu sa fille âgée de quatre mois, rêve d'une nouvelle Rome. L'architecture de la cité est devenue obsolète par les risques de propagation du feu qu'elle favorise. Marcus Atticus, le préfet des vigiles, s'inquiète pour les quatorze arrondissements de Rome alors que l'été de l'année 63 s'annonce caniculaire et que l'éclairage nocturne est réalisé à partir de torches allumées en permanence dans des rues étroites et tortueuses où le bois est grandement utilisé dans les constructions...
Murena et Balba, de retour à Rome, cherchent la discrétion la plus totale. Ils trouvent refuge auprès de la vestale Rubria qui était proche de la défunte mère du héros de la série. La cachette est on ne peut plus sécurisée car elle se situe au cur d'un collège religieux féminin où la présence des hommes est strictement interdite et où les vestales, ayant fait vu de chasteté, se concentrent principalement sur l'entretien du feu sacré au sein du temple de Vesta. Cette flamme représente la puissance éternelle de Rome si chère à son empereur.
Le personnage sombre de ce second cycle, Tigellin, poursuit ses manuvres. Conseiller de Néron, il n'hésite cependant pas à le trahir en orientant si nécessaire ses actions et son discours pour servir ses propres intérêts. Pour cela, il utilise notamment les services du Besogneux, un être sans foi ni loi et déformé par la laideur, qui officie au pied du mont Testaceus en gagnant de l'argent grâce aux morts...
Ce tome se recentre donc sur la ville de Rome et sa chaleur déjà suffocante semble-t-il à l'époque. Les auteurs poursuivent leur travail de didactisme dans la transmission de l'histoire romaine. Le lecteur vit ainsi en immersion dans la ville éternelle et découvre des lieux aussi différents que ce mont Testaceus, une colline artificielle haute d'une trentaine de mètres constituée par l'amoncellement de millions d'amphores brisées, ou le très sacré temple de Vesta.
Le scénario de Jean Dufaux est limpide, les dessins de Philippe Delaby justifient pleinement l'emploi de l'expression "9ème art" pour désigner la bande dessinée.
Une pointe d'érotisme est à nouveau présente mais sous une forme plus violente cette fois-ci en ayant pour conséquence une mort tragique...
Vices et vertus, luxure et volupté, tragédie et mort, tout cela cohabite dans la Rome antique de Murena !
[Critique publiée le 10/11/25]
M U R E N A | REVANCHE DES CENDRES (tome 8)
Philippe Delaby / Jean Dufaux - 2010
Dargaud - 48 pages
18/20
Rome brûle durant six jours et sept nuits !
Rome brûle. Le sanctuaire de Vesta, le temple de Jupiter, le théâtre de Marcellus et encore bien d'autres lieux sont dévorés par les flammes. Marcus Atticus, le chef des vigiles et donc responsable entre autres de la lutte contre les incendies, est totalement dépassé. La foule fuit la fournaise et les flammes qui ravagent les demeures en se jetant dans le Tibre pour certains. Les morts commencent à s'entasser...
Néron, qui se repose dans son domaine sur la côte tyrrhénienne, tarde à réagir. Finalement, soucieux de soigner son image auprès du peuple, il organise les secours en ouvrant notamment le site du Champ de Mars. Son conseiller Tigellin prône pourtant de repousser avec l'usage de la force la meute de ces romains totalement paniqués. Mais l'empereur est contre : « Ils sont comme des enfants qui ont tout perdu. Je suis leur dernier recours. »
Ce terrible incendie dura six jours et sept nuits durant le mois de juillet 64. Sur les quatorze quartiers que comptait Rome, trois furent totalement détruits.
Les auteurs consacrent l'intégralité de ce huitième tome à ce drame. On y retrouve différents personnages déjà connus des lecteurs qui vont vivre de manière bien différente cet événement : le pugiliste Pollius et son fils qui devront faire face à un lion échappé du Grand Cirque, le centurion Ruffalo cherchant désespérément sa fille Claudia capturée par des malandrins, l'apôtre Pierre qui se dévoue corps et âme pour aider les nombreuses victimes ou encore le Besogneux ravi de pouvoir démarrer de nouvelles affaires juteuses dans une cité où tout est à reconstruire...
Le scénario de Jean Dufaux est astucieux dans le sens où il exploite à merveille les zones d'ombre de l'histoire pour y glisser sa partie fictive et notamment la vie et les aventures du patricien Lucius Murena. Car l'une des grandes interrogations autour de ce gigantesque incendie réside dans son origine : accidentelle ou criminelle ? Et dans le second cas, la question de l'auteur du crime a soulevé les passions depuis l'Antiquité. Néron fût ainsi accusé ; pour se dédouaner du délit, il fit alors rejeter la faute sur les chrétiens qui furent suppliciés...
Jean Dufaux s'appuie ainsi sur les historiens de l'époque comme Tacite ou sur les spécialistes contemporains comme l'universitaire et latiniste Claude Aziza pour allier véracité historique et épisodes imaginaires tel un Alexandre Dumas dont il se réclame.
Les férus d'histoire pourront donc s'amuser à séparer dans Murena les éléments véridiques de ceux imaginés pour servir le récit ; tout en sachant que la réalité historique comporte elle-même de nombreuses zones d'ombre toujours ouvertes au débat des historiens.
Plusieurs niveaux de lecture coexistent ainsi dans cette superbe uvre dessinée. Les passionnés de l'Antiquité romaine y trouveront leur compte par la grande rigueur observée tandis que les novices apprendront énormément de choses sur cette période passionnante restituée de façon extrêmement pédagogique.
[Critique publiée le 10/11/25]
M U R E N A | LES ÉPINES (tome 9)
Philippe Delaby / Jean Dufaux - 2013
Dargaud - 57 pages
20/20
Complots, sexe et supplices mortels
Néron souhaite reconstruire Rome à son image : une demeure personnelle recouverte d'or et contenant un lac artificiel, des palais dont les intérieurs sont entièrement constitués de marbre et d'ivoire, ...
Pour cela, il décide de récupérer la main d'uvre nécessaire auprès des criminels et voleurs enfermés dans les prisons de la ville. À leur place, il séquestre les chrétiens qui sont à l'origine du grand incendie de juillet selon lui et son entourage de conseillers.
Ce comportement radical et sans concession cause de nombreux remords à Lucius Murena qui sait exactement quand, où et à cause de qui le feu a pris naissance. Il souhaite ainsi rencontrer l'empereur pour lui faire part de la vérité et épargner la vie de pauvres innocents. Certains ne passent d'ailleurs pas par la case de la prison et sont simplement torturés et brûlés vifs sur des bûchers exposés sur la place publique.
Le terrible Massam connaît aussi la vérité et tient difficilement sa langue dans sa poche aux yeux du conseiller Tigellin. Ce dernier, souhaitant cacher la réalité de l'origine de l'incendie et laisser les chrétiens souffrir, prend la décision d'éliminer ceux risquant de tout révéler à Néron.
Mais qui sera assez fort pour s'attaquer à Massam ? Et Murena, court-il un terrible danger en voulant renouer avec son ancien ami Néron et tout lui raconter ?
Tigellin va une fois de plus manipuler dans l'ombre de son maître et utilisera pour cela des intermédiaires comme le vicieux Besogneux...
La violence est très présente à nouveau dans ce tome qui ouvre un nouveau cycle.
Les supplices subis par les juifs montrent à quel point la croyance en un autre dieu que celui à la tête de l'empire romain constituait une terrible offense. Tout cela est parfaitement mis en scène par le dessinateur Philippe Delaby.
Les couleurs sont assurées par un nouvel artiste nommé Sébastien Gérard. Par rapport aux précédents albums, il y a une légère différence de rendu liée certainement à la technique utilisée mais la qualité demeure.
Concernant l'édition présentée ici, dite "non censurée", elle a été tirée à 7 000 exemplaires et comporte une page et demie supplémentaire montrant une scène érotique, une couverture suggestive et enfin un supplément de dix pages intitulé Roma Erotica qui détaille les pratiques sexuelles des romains durant l'Antiquité. Tout cela est rédigé avec le plus grand sérieux et montre des murs sexuelles bien différentes des nôtres qui ont été depuis conditionnées par le carcan de l'héritage judéo-chrétien.
Les dessins de Philippe Delaby sont toujours délicats, précis et somptueux. On reste subjugué par la géométrie parfaite de ses architectures et visages...
[Critique publiée le 10/11/25]
M U R E N A | LE BANQUET (tome 10)
Theo Caneschi / Jean Dufaux - 2017
Dargaud - 57 pages
17/20
Theo poursuit l'aventure au dessin !
C'est la fête chez Trimalchion avec un banquet géant comme seuls les Romains le faisaient en associant nourriture, vin, luxure, ...
Mais pour Néron et Murena, c'est avant tout le lieu d'un rendez-vous important qui permettra peut-être de réconcilier les deux hommes. Murena vient en compagnie de son intermédiaire Pétrone tandis que Néron rejoint discrètement le lieu de débauche accompagné de son fidèle centurion Ruffalo.
C'est lors du retour chez lui que, l'âme apaisée après son échange avec l'empereur, Lucius Murena voit sa vie basculer. N'oublions pas qu'un certain Tigellin veut éliminer le patricien et qu'il en a les moyens. C'est donc une scène d'une rare violence qui va être représentée dans ce tome. Le lecteur se prendra à souffrir pour son héros, malmené par une brute épaisse obéissant au Besogneux...
Murena sera heureusement recueilli par une jolie jeune femme qui prendra soin de lui. Des drogues lui seront notamment administrées par une disciple de la sorcière Locuste qui apparaissait dans le premier cycle de la série.
La révolte grondant parmi les proches de Néron qui lui reprochent sa mégalomanie, Murena va se retrouver malgré lui au sein d'un terrible complot...
Une autre fête chez Antinea, une Claudia qui s'impatiente de ne plus voir son Lucius, un père Ruffalo qui se dévoue jusqu'au bout, un meurtre déguisé en suicide, une fuite à Baiae dans la baie de Naples, ... De nombreuses péripéties qui vont sceller le destin de nos personnages sont à nouveau mises en scène. Jusqu'à cette image finale particulièrement évocatrice et originale.
Philippe Delaby, dessinateur historique de Murena, s'est éteint brutalement en janvier 2014. Voilà pourquoi quelques années ont été nécessaires pour poursuivre la série.
Murena devait en grande partie son succès à la qualité exceptionnelle du coup de crayon de Delaby. Toute la difficulté pour l'éditeur et le scénariste Jean Dufaux a été d'accepter la disparition de leur ami et d'envisager une suite sans lui. Trouver un dessinateur qui veuille bien poursuivre un travail en sachant que les critiques seront sans pitié et qui est capable de trouver le juste équilibre entre la reprise d'un style qui n'est pas tout à fait le sien et la possibilité d'apporter sa propre personnalité graphique, voilà un difficile défi !
L'italien Theo Caneschi, que Delaby estimait et qui avait travaillé avec le grand Alejandro Jodorowsky, a donc été choisi pour continuer l'aventure.
Dès les premières cases, la qualité est là et bien visible à travers les décors fournis, le mouvement des corps ou les visages en gros plans. Theo s'en sort très bien sur ce tome 10 et assure à merveille la reprise selon moi. Certes, on note des différences avec son prédécesseur : Delaby était meilleur dans la représentation des visages notamment et son trait était plus doux.
Encore une fois, cela est subjectif ; certains ont adoré la suite des aventures de Murena, d'autres ont tout simplement décidé d'arrêter là leur lecture...
Ce nouvel épisode est un succès et augure de belles choses pour la suite.
[Critique publiée le 10/11/25]
M U R E N A | LEMURIA (tome 11)
Theo Caneschi / Jean Dufaux - 2020
Dargaud - 50 pages
14/20
Un second tome de Theo décevant côté dessin
Lucius Murena semble se prélasser dans une villa luxueuse en bord de mer à Baiae. Entouré de magnifiques femmes occupées à admirer son corps, son bonheur n'est cependant qu'apparent car le patricien est devenu amnésique.
Transformé en objet de plaisir par Lemuria qui est l'une de ses riches femmes, il étouffe dans cet état de passivité et prend la poudre d'escampette pour tenter de retrouver son ami Pétrone et surtout comprendre ce qui l'a mené là...
De son côté, Néron cherche Murena qu'il croit coupable de trahison et de complot contre sa personne. C'est encore le retors Tigellin qui se charge de cette traque accompagné du Besogneux. L'empereur, qui continue d'étaler sa mégalomanie en se disant d'essence divine, découvre qu'il est de plus en plus isolé car certaines personnes très proches de lui prévoient simplement de l'assassiner !
Murena fait aussi la connaissance d'une femme mystérieuse, surnommée l'Hydre, qui possède des capacités physiques exceptionnelles pour combattre. Elle souhaite absolument rencontrer Néron pour lui livrer un bouleversant secret.
Les chemins de ces personnages vont évidemment converger à nouveau pour leur plus grand bonheur ou malheur. La grande amitié historique entre Murena et Néron va-t-elle survivre ? Quel secret ce dernier va-t-il apprendre ?
Trois ans après Le banquet et la première incursion du dessinateur Theo dans l'univers de Murena, ce second opus est décevant au niveau du dessin.
À partir du milieu de l'album, le visage de Murena change fortement : le trait est simplifié et toute la finesse et l'art initiés par Delaby, et pourtant repris par Theo précédemment, disparaissent. On a ainsi un Murena au visage lisse, trop carré, faisant presque penser à un héros de manga. Les autres protagonistes dont Néron en particulier subissent également ce traitement. Côté scénario, la rencontre entre Murena et l'Hydre est également un peu téléphonée...
Pression de l'éditeur ? Désintérêt passager du dessinateur pour cette aventure ? Je ne saurais évidement expliquer l'origine de cette baisse de qualité qui est assez gênante pour une série de cette ampleur. Toujours est-il qu'il faut s'attendre à une déception et cela est bien dommage pour le lecteur.
[Critique publiée le 10/11/25]
M U R E N A | MORT D'UN SAGE (tome 12)
Theo Caneschi / Jean Dufaux - 2024
Dargaud - 58 pages
18/20
Une fin de cycle palpitante
Lucius Murena a de nouveau retrouvé les faveurs de Néron. Mais au cur de la cour de l'empereur, il est vite repéré par Lemuria qui le cherche partout et se languit de son indifférence ; car le cur a ses raisons et Murena aime quant à lui uniquement la belle Claudia qu'il a perdue de vue depuis son épisode d'amnésie...
De son côté, l'Hydre se rapproche de Néron et rend visite à son père qui n'est autre que le célèbre philosophe Sénèque. Ce dernier a pris ses distances avec le pouvoir et semble lié au complot qui se prépare dans l'ombre sous l'égide de Pison qui est le frère de Lemuria.
L'empereur, sentant que se cachent de nombreux traitres parmi les sénateurs romains et ailleurs, profite de sa toute-puissance pour arrêter un grand nombre d'individus dans Rome liés de près ou de loin à la machination qui se trame...
Cela est l'occasion d'assister à des scènes d'arrestation brutale et de torture. Et cela va même jusqu'à la mort spectaculaire de Lateranus qui, pris au piège, préfère saluer définitivement et à sa manière la cité éternelle... Bien que tragique, cette scène est particulièrement poétique et théâtrale.
Qui de Néron ou Pison va prendre le dessus ? Quel sort sera réservé au sage Sénèque qui ne joue pas franc jeu ? L'Hydre, cette fille mystérieuse, réussira-t-elle à se rapprocher de l'empereur comme elle le souhaite tant ? Et Murena, héros sans cesse malmené, passera-t-il à travers les complots, trahisons et jalousies orchestrés par des personnages fourbes comme Tigellin notamment ?
Dans ce dernier opus du troisième cycle, le dessinateur Theo renoue avec un dessin talentueux après un album très mitigé. Les décors intérieurs et extérieurs sont soignés, les perspectives plongeantes et les visages, notamment féminins, ont retrouvé davantage de profondeur. Cela permet de conclure en beauté son travail artistique sur la série.
Jean Dufaux est égal à lui-même et continue de captiver le lecteur en associant fiction et réalité dans un cadre historique rigoureux. Il n'oublie jamais dans le mot de la fin d'adresser une pensée pour son ami Philippe Delaby et glisse aussi discrètement ses inquiétudes quant à la reproduction dans notre siècle des erreurs du passé que les hommes de pouvoir oublient trop rapidement et reproduisent continuellement.
[Critique publiée le 10/11/25]
M U C H A C H O | (tome 1)
Emmanuel Lepage - 2004
Dupuis - 72 pages
20/20
Plongée au cur du Nicaragua
« Nicaragua, novembre 1976. » Ainsi débutent les premières images du diptyque Muchacho.
Gabriel, jeune peintre séminariste, est envoyé par Joaquin auprès du père Rubén. Quittant le très conservateur séminaire de la capitale Managua, Gabriel va découvrir la réalité de son pays dans le petit village de San Juan. Missionné pour peindre la Passion dans l'église locale, Gabriel va devoir bouleverser toutes les idées reçues et, sous l'impulsion de Rubén, remplacer les poussiéreuses icônes religieuses par la vive réalité de la pauvreté sociale du Nicaragua.
C'est donc le parcours d'un jeune garçon dans un contexte politique dur que nous conte cette histoire. À travers son regard, on découvre une communauté sous tension ou révolutionnaires sandinistes et pro-conservateurs vivent tant bien que mal ensemble.
Des psychologies humaines denses et très proches de la complexe réalité donnent à cette uvre une dimension puissante. Amour et drame se mêlent et se démêlent sous la férule de la Guardia qui n'hésite pas à jouer les bourreaux avec ce peuple de paysans.
Images fortes et violentes, mystérieuses parfois avec ce révolutionnaire qui, caché derrière son masque de sandiniste, remercie Gabriel.
Bref, ce premier tome est très très bon. Le scénario est soigné et se termine sur un point d'interrogation. Peu de dialogues, beaucoup de suggestions à travers cette bande dessinée qui fait presque figure de roman graphique.
On connaissait déjà les qualités de dessinateur d'Emmanuel Lepage, on les redécouvre avec plaisir : couleurs chaudes de l'aquarelle, douceur du trait, beauté des visages, c'est là un grand artiste, assurément. Une uvre riche en émotion qui procure un intense bonheur de lecture et qui, de plus, a le mérite de rendre passionnant un événement historique loin de nous : la révolution sandiniste qui en 1979 renversa la dictature de Somoza pour instaurer une démocratie dirigée par Daniel Ortega.
Plus que jamais, la bande
M U C H A C H O | (tome 2)
Emmanuel Lepage - 2006
Dupuis - 90 pages
20/20
Magistral !!!
Suite et fin de cette aventure qui raconte la révolution sandiniste en 1979 au Nicaragua à travers le regard d'un adolescent à la recherche de son identité.
Gabriel De La Serna, en pleine rébellion contre l'ordre familial et la dictature de Somoza, a fui dans la forêt. Blessé, il devra sa survie à un petit groupe de guérilleros qui va le recueillir et lui apporter un peu de réconfort.
Quatre homme et une femme vont désormais constituer sa nouvelle famille de cur : Rigo, le rêveur dont la fiancée a été arrêtée par la Guardia ; Germán, le chef de la troupe et sa compagne Manuela. Viennent ensuite Ramón au caractère bien trempé et Fausto, troublant par sa sensibilité et sa beauté...
Le groupe détient un otage américain nommé Mac Douglas. C'est un atout non négligeable car les yankees soutenaient le gouvernement du Nicaragua pour mater la révolution et préserver leur suprématie américaine dans cette zone de l'Amérique centrale.
Ils ont ainsi une monnaie d'échange pour négocier la libération d'autres guérilleros. Mais c'est sans compter la jungle et ses nombreux dangers.
Cachés dans cet univers hostile, ces hommes et cette femme, « porteurs des rêves de tout un continent qui souffre », devront faire preuve de courage et de ténacité.
Affamés, ils prendront le risque de s'exposer à l'armée en pénétrant dans un petit village de paysans. Gabriel y découvrira l'extrême violence entre les hommes et sera sérieusement ébranlé dans sa foi religieuse.
Survivront-ils tous à cette épopée sanguinaire ?
Notre héros, lui, se raccrochera à l'amour qu'il vivra avec passion au sein du clan sandiniste. Emmanuel Lepage traite ici un sujet déjà exploité dans sa série antérieure Névé : la découverte de l'homosexualité chez un jeune homme. Grand sujet qui fait l'éloge de la différence.
D'autres passions humaines sont également retranscrites dans ce microcosme de révolutionnaires. Trahisons, maladies, jalousies n'épargneront personne malgré la recherche commune d'une société idéale.
Mais le personnage principal de cette bande dessinée est peut-être finalement le contexte politique du Nicaragua en 1979 : la lutte des sandinistes pour destituer le président Somoza de son pouvoir. De ce point de vue, le lecteur en apprend bien plus que dans un livre d'histoire. Cette révolution est le début d'une émancipation des pays d'Amérique centrale sous la férule des puissants États-Unis.
Côté dessin, l'auteur briochin fait des merveilles. Son coup de pinceau est fabuleux. C'est à mes yeux l'un des plus grands artistes actuels du 9ème art.
Chaque case est un tableau. Maître dans l'art de l'aquarelle, Lepage peint des décors grandioses aux dominantes bleues, vertes et ocres.
Lors d'une rencontre en 2009 à Perros-Guirec, il m'a avoué avoir totalement imaginé la nature exubérante du Nicaragua, pays qu'il a parcouru mais sans s'enfoncer dans la forêt.
Au final, le lecteur sera agréablement surpris par des arbres aux racines gigantesques et une mangrove peu attirante par la faune qu'elle doit cacher...
Emmanuel Lepage est un nom à retenir. Il excelle dans un art qui commence enfin à être vraiment reconnu.
[Critique publiée le 02/06/09]
L ' É P E R V I E R | LE TRÉPASSÉ DE KERMELLEC (tome 1)
Patrice Pellerin - 1994
Dupuis - 48 pages
17/20
Le meilleur moyen pour découvrir Brest avant sa reconstruction
Brest 1740... Yann de Kermeur est capitaine de vaisseau du roi. La Méduse et son équipage sont armés au port de Brest. Mandé par le comte de Kermellec, Yann se rend à la propriété du vieil homme. À peine arrivé, il est alerté par un coup de feu venant de la petite chapelle du domaine en bordure de falaise. Le capitaine y découvrira le comte agonisant avec pour dernières paroles une vague référence aux « larmes de Tlaloc »...
Trouvé armé auprès du défunt, Yann de Kermeur sera accusé à tort de meurtre. Sauvé in extremis de la pendaison par la petite-fille du comte de Kermellec, Yann réussira à échapper des mains de la justice.
Une justice qui n'est guère très noblement représentée puisque c'est le marquis de la Motte, représentant véreux du roi à Brest, qui fera de cette cavale une affaire personnelle. Son navire arraisonné, son équipage arrêté, Yann sera conduit à fuir Brest avec l'aide de son amie Marion. Mis au courant de la terrible méprise qui rend Yann coupable d'un crime qu'il n'a pas commis, Cha-Ka, son frère de sang, va tout faire pour tenter de l'aider. C'est sur la presqu'île de Crozon que le jeune capitaine trouvera refuge et se préparera à affronter le grondement des canons armés par le marquis de la Motte à son intention.
Cette bande dessinée retrace l'épopée d'un corsaire du roi au XVIIIe siècle.
Sous le trait magnifique de Patrice Pellerin et son souci du détail historique, le lecteur est invité à un voyage dans le Brest du Siècle des Lumières. L'intrigue est menée avec rigueur et clarté rendant la lecture fluide et agréable. De nombreux rebondissements viennent ponctuer le récit et les caractères des personnages sont bien trempés.
L'intérêt de cette série est avant tout historique et Pellerin a fait dans ce domaine un véritable travail de recherche.
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