Makibook
Chroniques d'une évasion littéraire

Qui suis-je

A U T O - I N T E R V I E W   Makibook - 2024

  « Qu'est-ce que vous voulez ?

- Des renseignements.

- Vous n'en aurez pas.

- De gré ou de force vous parlerez »


    Voilà, nous y sommes, je sombre ce jour corps et âme dans la folie narcissique, voire la schizophrénie. Une interview de moi-même, quel toupet tout de même ! Quelle autosatisfaction ! Quel égocentrisme !
Je donne déjà mon avis sur des centaines de livres et il faudrait aussi que maintenant je parle de moi ? Mais quelle importance cela peut-il revêtir ? Aucune, nous sommes d'accord.

Là n'est pas la question en réalité. Le sens de cette page est de donner un peu d'âme et de chaleur à ce site internet présentant ce que nous appelons pompeusement des "critiques littéraires". Et surtout, d'expliquer, de dévoiler, voire de révéler la philosophie qui sous-tend ces publications.

Quoi de mieux qu'un dialogue, qu'un jeu de questions-réponses pour présenter tout cela de façon vivante et enjouée afin d'éviter une ennuyeuse composition scolaire que personne ne lirait au-delà de la troisième ligne ?

ATTENTION, SOYONS CLAIRS :
Vous pouvez vous carapater tout de suite si l'ennui vous guette déjà (j'en vois certains bâiller) ou si le four a fini de préchauffer et qu'il est temps d'enfourner les cookies préparés pour fêter l'arrivée de la belle-mère...


« Pourquoi un tel titre à cet échange ?

- Ah... C'est une référence à une vieille série anglaise des années 60 dans laquelle l'intrigue consiste à obtenir des renseignements d'un agent secret. Par là, j'annonce déjà le ton : je ne dévoilerai ici aucune identité ou élément trop personnel.

- Et ce nom, « Makibook », d'où vient-il ?

- Pas très difficile d'en comprendre au moins une moitié. Pour le reste, il n'y a aucun sens caché, seulement une sonorité agréable et un clin d'œil à un ancien voyage entre Asie et Afrique...

- Vous travaillez dans le domaine de l'édition ?

- Oh, non ! J'en suis bien loin.

- C'est-à-dire ?

- Ta-ta-ta... Pas la peine d'essayer de me piéger sur des questions personnelles. Qui cela intéresserait-il d'ailleurs ?

- C'est une passion pour les livres alors ?

- Tout à fait. Quel sens de la logique vous avez !

- On a un peu l'impression de faire un Ni oui ni non, ne pourriez-vous pas être un peu plus disert nom d'une poule ?

- D'accord. Allons-y alors.

Le livre est selon moi le meilleur point d'entrée dans notre imaginaire. C'est sans doute sa simplicité, sa quasi-austérité qui en font paradoxalement toute sa force. Il nous guide juste à travers un texte, délicat fil ténu qui parvient à convoquer le meilleur de nous-même dans un processus de création.
En cela, le livre est indépassable ; aucun film ne peut y parvenir car la moindre image fige déjà la pensée dans une direction donnée, choisie, imposée. Le cinéma, et cela d'autant plus si les effets visuels sont développés, donne en réalité trop d'éléments.

- Si l'on pense ainsi, l'art ultime serait de n'avoir aucun support et de laisser notre imaginaire tout inventer de A à Z ?

- Bien sûr... Et cela peut fonctionner en fermant simplement les yeux. Mais c'est souvent parasité par des pensées vagabondes et nocives qui viennent détruire notre effort très rapidement : ai-je appelé le dentiste ? Est-ce que je tonds ma pelouse samedi ou dimanche ? Ne pas oublier le rendez-vous avec l'école. Et au fait, quelle heure est-il ? Bref, c'est sans fin.
L'entraînement peut surmonter cet écueil, mais on s'écarte du sujet car on arrive davantage sur le terrain de la méditation et autre exercice de maîtrise de l'esprit.

On voit bien que l'écrivain est indispensable pour nous guider. Il donne le la et il suffit de suivre le fil...

- L'écoute attentive de la musique fonctionne aussi...

- Tout à fait. Raison pour laquelle il y a une rubrique musicale ici.
Sinon, bien que cela soit peut-être plus difficile, il est aussi possible de passer par la contemplation d'un paysage. C'est entre autres par ce moyen que l'écrivain voyageur Sylvain Tesson a construit son rapport au monde.

- Quelles ont été vos premières satisfactions littéraires qui vous ont fait comprendre qu'un monde nouveau dévoilait un horizon infini ?

- Comme beaucoup, j'ai découvert le monde avec Tintin et Jules Verne. L'œuvre de Hergé brosse le portrait historique du XXème siècle mieux que les livres d'histoire tandis que celle de Jules Verne ouvre tous les possibles avec des voyages aux confins de la planète, dans les airs, sous la terre, dans la mer et jusque sur la Lune.

Plus tard, j'ai découvert Stephen King qui a mis du temps à être reconnu comme un grand écrivain américain. Pourtant, derrière l'horreur qu'il met en scène, il décrypte l'Amérique contemporaine mieux qu'un sociologue.
Prenez Cujo par exemple que j'ai relu dernièrement : la majeure partie du récit relate des problèmes ordinaires de couple, d'alcool, de chômage et d'argent ! L'horreur ne vient que dans les toutes dernières pages.

Et puis, à côté de cette trinité littéraire si j'ose dire, j'ai aussi été attiré par les auteurs classiques qui ont bâti au XIXème siècle le socle du roman tel qu'on le connaît aujourd'hui : Balzac, Zola, Hugo, Melville, Hardy et quelques autres. N'ayant pas mené d'études littéraires, j'ai encore de grosses lacunes sur ce sujet et n'ai encore jamais lu Proust, Stendhal ou Céline.

- Il n'est jamais trop tard !

- Non. Et puis, c'est un sujet infini. Plus on lit, plus on s'aperçoit de notre ignorance. Mais la conscience de l'ignorance ne peut exister qu'avec un minimum de connaissances. Se savoir ignorant est donc déjà une connaissance.
Comme disait Socrate : « Tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien. »

- L'histoire du verre à moitié plein en quelque sorte... Plus on lit et plus l'on est exigeant aussi sans doute ?

- Exactement ! L'exigence conduit alors à une recherche permanente et croissante de qualité. Chez moi, cela se traduit par la forme. Je lis de préférence des livres soignés sur le plan littéraire.

- Donc, plutôt de la littérature française alors pour demeurer au plus près du texte original ?

- Cela a parfois tendance à m'éloigner en effet des livres écrits dans une langue autre que le français, à tort évidemment. Mais j'en lis tout de même car il arrive que le fond, l'histoire en elle-même, a une puissance d'attrait qui supplante tout autre besoin. C'est le cas chez Stephen King par exemple auquel il est difficile de résister car, dès les premières pages, il renoue avec la magie du conte en nous invitant tel un grand frère le soir devant l'âtre de la cheminée pour nous embarquer dans une longue insomnie.
Idem avec un autre écrivain au talent exceptionnel : Haruki Murakami.

- Ah, cette figure japonaise qui a souvent figuré sur la liste des candidats au Prix Nobel de Littérature sans jamais l'obtenir...

- Oui ! Son écriture traduite en français, du point de vue littéraire, n'a rien de particulier pour moi. Chez lui, le talent réside dans l'atmosphère qu'il parvient à créer, le parfum qui se dégage de ses histoires. Avec souvent une petite pointe d'irréel, d'onirisme comme dans sa trilogie 1Q84. C'est le genre de bouquin troublant qui ne s'oublie pas de sitôt !

- Mais, le métier de traducteur est une véritable activité artistique tout de même ?

- Bien sûr. Ils sont eux aussi des écrivains en digérant, s'appropriant et traduisant une œuvre étrangère. Ces gens-là restent dans l'ombre la plus totale, à peine sont-ils cités... Et certains font pourtant preuve d'une très grande exigence lorsqu'ils sont face à ce que l'on appelle un grand texte.

Prenons l'exemple de Moby Dick. Il y a eu plusieurs traductions du texte de Melville en français. La plus connue est celle de l'écrivain Jean Giono. J'ai lu celle d'Armel Guerne qui était poète. Il y a des tas d'articles concernant les différences stylistiques entre les différentes traductions. Sauter un mot ou même une phrase, enjoliver le propos en le rendant plus lyrique, ces hommes et femmes déposent forcément, quoiqu'on en dise, un filtre sur l'œuvre originale qui peut modifier son ton, son contenu !
Armel Guerne aurait travaillé durant dix années sur Moby Dick et, dès la première phrase, il diverge déjà du travail de Giono.
Le fameux « Call me Ishmael » s'est transformé en « Je m'appelle Ishmaël. Mettons. » chez Giono et en « Appelons-moi Ismahel. » chez Guerne. Et je ne parle pas des autres traducteurs qui se sont aussi penchés sur cet épineux problème. Giono dès la première phrase en rajoute une seconde ! Pourquoi pas ? Tout cela est intéressant et en même temps éloigne forcément le lecteur de l'œuvre première.

- Il faudrait lire chaque œuvre dans sa langue originale alors ? Ou arrêter de réfléchir autant ! Lire apporte surtout de la détente. Et, comme l'a écrit Dominique Noguez dans l'un de ses romans, une traduction transforme positivement un livre en le faisant vivre, évoluer, prendre une nouvelle direction !

- Si l'on est exigeant sur le style littéraire, le filtre de la traduction devient perturbant. Voyez, en les lisant à voix haute, comme certains textes chantent ! Une version traduite biaise forcément l'aspect qualitatif d'un texte.

- Je ne suis pas totalement d'accord. Pour ma part, je pense qu'il faut voir la version traduite comme une nouvelle œuvre comportant une couche supplémentaire. Kim Stanley Robinson, le grand écrivain de science-fiction américain, déclarait lui-même sur France Culture que la traduction française de sa fameuse trilogie martienne lui avait offert une dimension plus littéraire que celle en langue originale restant somme toute très scientifique. Bref, il y a matière à débattre d'après ce que je vois !

- On n'a pas besoin d'être d'accord sur tout !

- Non, évidemment...

Sur votre site, côté littérature française, je constate beaucoup de chroniques concernant les livres de Yann Moix. C'est pourtant un personnage acariâtre, non ?


- Oui ? Et ?

- Si ses livres sont à l'image de ses prestations publiques à la télévision, cela est inquiétant...

- En effet, l'homme a un caractère bien trempé et ne prend pas de gants. La diplomatie n'est pas son fort. Beaucoup ont envie de lui mettre des baffes parfois.
Tout cela demeure cependant du spectacle. Votre candeur m'étonne cette fois ! Croyez-vous que ce que vous voyez à la télévision est à-même de vous forger une opinion sur les choses, les gens ? En l'occurrence on parle ici d'un personnage qui se présente avant tout comme écrivain. La moindre des choses serait donc de lire au moins un de ses livres !

Et là, c'est vous qui allez ramasser une claque.

Car sur la forme et le fond, c'est absolument brillant. Il dépeint tellement à merveille ce qui se passe dans le cerveau humain, il met tellement à nu ses pensées, il fait preuve d'un argumentaire si puissant, d'un humour si riche, d'une culture si vaste - le monsieur fait preuve d'hypermnésie - que bien d'autres livres deviennent soudainement fades à côté.
Et la langue ! Cet amour inconditionnel de la langue française sous toutes ses formes. Lisez Podium, Anissa Corto ou Naissance ! Moi, je les lis et les relis.
Son caractère excessif qui vous irrite tant à la télévision prend une tout autre dimension dans l'écriture. Et puis sa tétralogie intitulée Au pays de l'enfance immobile vous permettra de mieux comprendre son comportement d'adulte. Je l'ai vu, devant moi, péter un câble avant une conférence en public, engueuler et virer le journaliste en charge de l'interview pour ensuite tenir une brillante et passionnante réflexion philosophique. C'est le personnage Moix !

- La page d'accueil de Makibook cite Alain Jaubert : « La lecture, l'écriture, la littérature, c'est ça l'or, le trésor, tous les trésors du monde... »
Pouvez-vous m'en dire davantage sur cet auteur que je ne connais pas ?


- Oui, bien sûr.

Alain Jaubert a écrit en 2004 Val Paradis et ce roman est un jalon dans ma vie de lecteur. Je ne l'ai découvert que quelques années plus tard au hasard d'une flânerie dans une librairie. Le roman avait déjà obtenu le Goncourt du Premier Roman en 2005, il était là, présenté sur l'étal en édition de poche avec sur sa couverture une photo de Valparaíso n'appelant qu'au voyage et à l'aventure.
Je l'ai lu avec avidité, je l'ai terminé, je l'ai rouvert et relu aussitôt. Cela ne m'est arrivé qu'une fois jusqu'à présent. Ce récit a été une claque et lorsque l'on fait référence aux livres qui peuvent changer votre vie, à la rencontre unique entre un lecteur et une œuvre écrite, je pense que Val Paradis a joué ce rôle pour moi.

- C'est une chance de croiser un tel livre. Cela peut très bien ne jamais arriver ?

- Tout à fait. J'ai eu beaucoup de chance de l'avoir rencontré, j'en suis conscient. Une telle révélation peut ne jamais se produire même chez un grand lecteur à mon avis.

- Et ensuite, vous l'avez lu une troisième fois ?

- Moquez-vous !

- Non, non, en aucun cas je ne me permettrais. Mais cela s'est-il arrêté là ?

- Non, la fièvre s'est poursuivie. J'ai pris contact avec l'auteur par l'intermédiaire de son éditeur Gallimard. Nous avons pu échanger, nous nous sommes rencontrés à plusieurs reprises, avons déjeuné ensemble lors du Prix Livre & Mer Henri Queffélec en 2015 à Concarneau.

- Ce nom me revient maintenant ! Alain Jaubert est ce documentariste qui a créé l'émission de télévision Palettes dans laquelle il décrypte les plus grands tableaux ?

- Exactement. Il est un spécialiste reconnu dans le domaine pictural en France et à l'étranger. Il n'a commencé à écrire qu'en 2004 justement, à l'âge de soixante-quatre ans...

- Eh bien, quelle rencontre importante pour vous...

- Cela a également rehaussé mon niveau d'exigence littéraire ! Lire un livre reste un divertissement évidemment, mais ça a pris pour moi une dimension bien plus importante, presque religieuse. D'où mes questionnements tout à l'heure sur le filtre de la traduction notamment.
J'ai découvert grâce à Alain Jaubert qu'un texte qui pouvait résonner autant avait une dimension quasiment sacrée.

- C'est peut-être un peu fort tout de même de parler de religion, de sacré ?

- Rappelez-vous de la citation en ouverture de ce site de chroniques, on y parle d'or, de trésor... On est dans le même registre.

- Avez-vous vécu à nouveau cette illumination, comme vous le voyez je reste dans votre champ lexical, depuis Val Paradis ?

- Évidemment, et vous l'avez deviné, je me suis mis à vouloir revivre une telle rencontre. À mon niveau bien sûr ! Attention, tout cela est totalement subjectif. Les personnes à qui j'ai fait lire ce roman n'ont pas ressenti le même choc littéraire que moi. Je ne veux pas classer les livres ou la littérature selon de quelconques critères élitistes. Soyons clairs.

- Nous aurons l'occasion d'évoquer ces aspects-là, popularité et élitisme, ultérieurement.

- Donc, oui, j'ai fait d'autres rencontres. Sans doute jamais aussi fortes que la première bien sûr.

- Comme le premier amour ? Ha ha...

- Qui sait ?

Vous aurez quelques titres dans la page Mes romans cultes. Je citerais volontiers Là où les tigres sont chez eux de Jean-Marie Blas de Roblès, Naissance de Yann Moix ou encore Les derniers jours du monde de Dominique Noguez.

- Que des pavés dirait-on ?

- Que voulez-vous... Ma gourmandise se projette aussi dans le nombre de pages.

- Vous offrez une place importante aussi à l'art de la bande dessinée sur Makibook.

- Oui, tout à fait, preuve que je ne suis pas comme certains vieux ayatollahs de la littérature qui considèrent encore la BD comme quelque chose de mineur qui ne fait pas partie du monde littéraire.

- C'est de moins en moins le cas tout de même !

- Hum... Je ne serai pas aussi catégorique.

- Vous ne lisez que de la BD franco-belge ? Je n'ai vu ni comics ni mangas dans vos chroniques.

- En effet, ma culture européenne joue certainement inconsciemment en ce sens. Non pas que je dénigre ces genres. En aucun cas. Je n'ai tout simplement pas eu le temps de m'y intéresser vraiment. La BD française, belge, italienne ou espagnole est déjà tellement vaste !
D'autre part, j'aime ce travail artisanal que l'on peut trouver chez un Bilal ou un Gibrat qui peuvent œuvrer sur un même titre durant plusieurs années. L'aspect "industriel" du processus artistique de création des mangas me touche moins.
Mais j'admire tout de même Jirô Taniguchi.

- Taniguchi est plus connu en France qu'au Japon ! On est à la limite entre la BD franco-belge et le manga.

- C'est vrai, il n'a pas vraiment percé dans son pays. Son œuvre introspective, intimiste, faisant l'éloge de la lenteur bien souvent, est perçue comme étant trop littéraire au Japon.

- Je vous reconnais bien là. Quand on parlait d'exigence littéraire... C'est sans doute pour cela que vous avez toujours aimé Blake et Mortimer entre autres.

- Peut-être... Et pourtant, la première chose que je regarde lorsque j'ouvre un album c'est le dessin et uniquement cela. Je préfère une œuvre avec un magnifique graphisme et une histoire décevante que l'inverse.
La bande dessinée, que je classe pourtant dans la littérature, est avant tout du dessin et éventuellement des couleurs.

- Vous avez eu des coups de cœur intenses aussi dans le 9ème art ?

- Comme pour Val Paradis vous voulez dire ?

- Oui.

- Pas aussi fort peut-être. Quoique. La découverte de l'auteur costarmoricain Emmanuel Lepage a été une révélation. J'ai compris à ce moment-là qu'il existait de véritables orfèvres qui allaient jusqu'à tout peindre eux-mêmes. On dit qu'ils travaillent en couleur directe. Au-delà de ça, j'ai constaté que ces artistes, comme Lepage, façonnaient leur rapport au monde à travers le dessin.
Cela va bien au-delà de la bande dessinée pour eux. Forcément, je me suis davantage tourné vers ces auteurs.

- Qui sont peu ?

- Plutôt, oui. La grande majorité des BD que j'ouvre en librairie est souvent très décevante du point de vue des couleurs. Le numérique n'a pas que des avantages. Il permet tellement de choses que la couleur devient trop proche de la réalité. L'aspect graphique n'existe plus en tant que tel. Un dessin reste un dessin, pas la peine d'imiter le réel à tout prix ou alors autant faire un roman-photo ou un film de cinéma directement.

- Vous citiez Enki Bilal à l'instant. Il a pourtant carrément intégré des photographies dans certaines de ses cases !

- Exact, mais de manière totalement artistique. Il peut en effet partir de ce matériau mais il l'exploite de façon à se l'approprier, à lui donner une nouvelle dimension à travers l'acrylique entre autres.
D'autre part, il travaille chacune de ses cases de manière indépendante en la créant tel un tableau à part entière. Il s'est ainsi affranchi du format de la bande dessinée dans la conception de ses albums. On est loin des aplats sans âme faits à l'ordinateur...

- Et la série Largo Winch alors ? C'est populaire, colorisé sur ordinateur, vous aimez pourtant ? N'est-ce pas contradictoire ?

- Il ne faut jamais généraliser ! Il existe des bijoux qui vont me contredire bien sûr. Et Largo Winch en effet fonctionne parfaitement.

Il faut dire que Philippe Francq dessine admirablement, il est très loin au-dessus de la moyenne. De plus, son art du cadrage et sa représentation du mouvement sont exemplaires. Et ici, les couleurs numériques servent son dessin. Elles sont utilisées avec talent sans tomber dans le piège d'en faire trop.
Chaque histoire déclinée sous la forme d'un diptyque est également très bien construite. Pas étonnant donc que plus de treize millions d'albums ont déjà été vendus !

- La frontière entre BD et carnet de voyage est parfois ténue ?

- Oui. Lepage fait les deux simultanément. Lisez Voyage aux îles de la Désolation pour le constater. C'est une magnifique bande dessinée qui raconte son embarquement à bord du Marion Dufresne qui est le navire chargé de ravitailler les TAAF (Terres Australes et Antarctiques Françaises) et sa découverte des îles Crozet, Kerguelen, Saint-Paul et Amsterdam. Donc un véritable carnet de voyage narré de façon à construire une BD. C'est la même démarche qu'il a réalisée avec le glaçant et cependant poétique Un printemps à Tchernobyl.

- Des aquarelles somptueuses !

- C'est splendide. L'aquarelle est un medium tellement riche, permettant d'exprimer tant de sensibilité, et dont les secrets résident dans la lumière et la surprise des effets provoqués par l'eau...

Sa découverte à travers le 9ème art m'a poussé à la mettre en pratique moi-même pour mieux la comprendre.

- Ah, quand même ! L'impact de la découverte de Lepage en BD a finalement été très fort aussi, tout comme pour Val Paradis finalement.

- Sans doute, oui. J'ai eu la chance de suivre des cours avec un excellent professeur issu de l'école des beaux-arts durant plusieurs années, puis un auteur de bande-dessinée ayant fait l'Institut Saint-Luc en Belgique.
Attention, pas de fanfaronnade, je ne suis qu'un simple barbouilleur du dimanche qui a encore besoin de beaucoup d'entraînement...

Pour revenir à de vrais artistes, j'apprécie aussi énormément Claire et Reno Marca. Ce couple voyage dans le monde entier et compose de magnifiques carnets de voyage, elle au texte et lui au dessin et à la peinture.

- Pourquoi pensez-vous que l'œuvre dessinée perdure avec tant de succès face à la profusion des écrans qui permettent finalement d'abolir toutes les limites de la représentation ?

- Tout simplement parce que le dessin définit quasiment notre premier rapport au monde. L'une des premières choses que fait un enfant pour communiquer est de dessiner. Tout adulte qui se met à prendre à nouveau dans la main un pastel ou un pinceau retrouve des sensations parfois profondément enfouies et pourtant très riches en émotions.
Ainsi, le dessin, la peinture sont inscrits dans l'histoire de l'humanité depuis des dizaines de milliers d'années. Voyez les peintures rupestres...

- Espérons que cela perdure en ces temps de mutations exponentielles.

- Je n'ai pas trop de doute là-dessus. L'essentiel demeure indépendamment du reste.

- J'aimerais revenir sur la littérature sans dessin si vous permettez l'expression.

- À quel sujet ?

- Vous disiez précédemment que vous ne souhaitiez pas classer les romans selon des critères élitistes.

- Non, surtout pas. Le principal est de lire des livres. Tout lecteur s'ouvrira naturellement et en permanence vers de nouveaux auteurs, de nouveaux styles et construira ainsi son propre panthéon. Il ne sera jamais rassasié et sa quête deviendra infinie.

- Je voulais surtout parler de la littérature de genre en fait. On l'oppose souvent à la littérature dite "blanche". Que pensez-vous de cet épineux problème ?

  Ha ha ! Épineux pour vous peut-être mais honnêtement on s'en fiche royalement.

- Votre Val Paradis a pourtant été édité dans l'une des plus prestigieuses collections en France : la Blanche de Gallimard. Vous n'avez pas choisi le premier éditeur venu, dites donc.

- Je vous sens chafouin... C'est un pur hasard dans mon cas. Je vous rappelle qu'à la base c'était pour moi la simple couverture aguicheuse d'un livre de poche !

Mais on est d'accord, il y a Gallimard et Grasset qui sont considérées comme les maisons d'édition par excellence et qui sont plutôt axées sur la littérature blanche. Cela ne veut pas dire que l'on ne s'y ennuie pas. Franchement, tout cela relève une fois de plus de certains ayatollahs qui veulent classer les choses ; ce n'est pas une mauvaise idée en soi, mais le but recherché ici est d'opposer la "bonne" littérature à la "mauvaise" littérature.

- Ça me rappelle une histoire de chasseurs...

- Écoutez, je l'ai déjà dit : chacun fait son propre cheminement et ses découvertes, à son rythme, selon ses connaissances. Sur France Culture, François Angelier a pris le contrepied de cette clique d'arriérés en créant une émission baptisée Mauvais genres qui rend hommage aux genres fantastique, de science-fiction, policier, ...
Un roman de science-fiction est-il automatiquement un roman de gare ? Est-il nécessairement mal écrit ? Serge Brussolo est-il un auteur mineur ? Stephen King un auteur pour adolescents boutonneux ?

- Ne vous énervez pas !

- Ouvrez un bouquin de Jean-Philippe Jaworski ou Alain Damasio, vous verrez ce qu'est la littérature dite "de genre" ou noire, grise, verte même pourquoi pas ! Le premier écrit dans une langue magnifique et utilise un vocabulaire extrêmement riche et précis que l'on ne retrouve que très peu chez Gallimard, le second joue avec la langue et invente des néologismes en rapport avec l'évolution de notre monde, c'est un novateur. Ils œuvrent pourtant dans les domaines du fantastique et de la science-fiction.

Lisez La horde du contrevent ou Janua Vera et n'allez pas me dire que la littérature doit entrer dans des cases. Elle doit être libre de tout explorer.

- J'ai lancé un sujet sensible on dirait... L'art n'a pas de limite en effet, je suis d'accord.

- Et je rajouterai que la littérature blanche se regarde souvent le nombril. On a affaire trop souvent à des écrivains qui racontent leurs états d'âme et leur vie ennuyeuse au possible.
Il existe pleins d'éditeurs moins connus qui publient des romans de genre avec une grande exigence de qualité : Critic qui est basé à Rennes, La Volte ou encore Gallmeister pour n'en citer que trois...

- Vous ne vous regardez pas le nombril ici-même ?

- Vous commencez à me courir sur le ciboulot, je sens qu'il va bientôt être temps d'arrêter cet échange.

- Honnêtement, vous pensez que quelqu'un lit encore ces phrases ?

- Honnêtement, je n'en suis pas du tout sûr.

- L'écrivaillon que vous tentez d'être devrait peut-être mettre un terme à cette logorrhée, non ?

- Si vous le dites...

- Attendez, il y a encore...

- Je croyais que vous vouliez arrêter ?

- Oui mais non car il y a encore une chose que j'aimerais savoir. Pourquoi écrire des chroniques, pourquoi ce site ? Qui est derrière ?

- Il faut savoir ! Vous me traitez d'égocentrique et ensuite vous voulez que je parle encore de moi !
De toute façon, j'ai déjà suffisamment répondu sur mon identité. Et je suis le seul derrière ce site comme vous dites.

- C'est la seconde version de Makibook ?

- OK, allons-y de nouveau.

(Il prend une grande respiration.)

Lorsque Internet est apparu dans les années 90, j'ai vécu cela comme une totale révolution pour la liberté d'expression.

- En effet, on voit les jolis dégâts aujourd'hui avec les réseaux sociaux où n'importe qui donne son avis sur n'importe quoi.

- Je pourrais aussi vous parler des révolutions arabes qui ont tiré profit de ces outils. Mais je ne parle pas de ça, à l'époque tout cela n'existait pas. Je parle de la diffusion structurée et réfléchie d'informations dans le monde entier, de façon libre et gratuite.

J'ai débuté par la mise en lumière de musiciens bretons. En 1999, j'ai créé le site officiel du groupe Añjel I.K. pour simplement m'amuser. Cela m'a apporté beaucoup de plaisir et m'a permis de partager des moments chaleureux avec un milieu que je ne connaissais pas. Cette aventure a duré environ deux ans.
Puis je suis passé à l'étape supérieure en concevant le site, non-officiel cette fois-ci, du pianiste Didier Squiban en 2002. Jusqu'en 2014, j'ai alimenté son contenu en écrivant toute son actualité, en faisant des reportages lors de ses tournées, ...
Tout ceci en tant que loisir bien évidemment. Et à nouveau, j'ai vécu de sympathiques moments en compagnie de Didier Squiban et reçu beaucoup de témoignages de gens fréquentant mon site.

Puis, Makibook est né en 2008. Tout est parti de la lecture de No logo, le livre dénonçant le pouvoir des marques écrit par la journaliste canadienne Naomi Klein en 1999. J'ai ressenti beaucoup de frustration lorsque je me suis aperçu que très vite j'avais presque tout oublié des idées défendues par cette bible de l'altermondialisme. J'ai alors eu l'idée d'allier mon goût pour l'écriture à une sorte d'archivage de mes sentiments suite à mes diverses lectures. Et tant qu'à bien faire les choses, autant les présenter sous la forme d'un site Internet à nouveau. Mais avant tout pour moi.

- Si c'est pour vous, pourquoi alors livrer ces ressentis qui ont forcément une part d'intimité sur la toile ?

- Le plaisir de partager, d'écrire de façon didactique, le goût du journalisme culturel. Même si seuls quelques amis lecteurs lisent mes chroniques, cela justifie déjà ce format en ligne. Je ne consulte quasiment jamais les chiffres de fréquentation, je n'ai rien à vendre ! Il y a énormément de passionnés de lecture qui font des blogs bien plus fournis, plus modernes, plus attractifs ! Moi-même y passe du temps pour dénicher de nouveaux titres à lire.
Le temps, l'argent que tout cela me coûte ne représentent rien par rapport au plaisir vécu.

- Vous écrivez une chronique pour chaque livre lu ? Cela demande beaucoup de temps ?

- J'essaye mais c'est impossible, j'ai une vie à côté aussi !
Et en effet, ça peut prendre beaucoup de temps, jusqu'à une dizaine d'heures parfois.

- Vous avez dit une dizaine d'heures ? Pour une seule chronique ?

- Un livre pour lequel je me pâme d'admiration demande d'être à la hauteur dans ma chronique. J'essaie de faire au mieux et il faut du temps pour relever des extraits marquants, dégager les axes et les thèmes abordés, faire parfois des recherches annexes et présenter tout cela dans un style clair et fluide, sans compter les nombreuses relectures de mon texte pour l'améliorer encore et supprimer les éventuelles coquilles...
Donc, on arrive parfois à dix heures de travail comme cela a été le cas pour Tableaux noirs par exemple (et huit pages A4 noircies de notes préparatoires). Mais ça peut être aussi très souvent une ou deux heures seulement. Bien heureusement !

- Je me demande bien qui peut lire des chroniques aussi longues ? Trop longues pour moi...

- Ceux qui aiment vraiment lire n'ont pas "peur" de s'immerger dans un texte. C'est sûr qu'il n'y a pas d'images, de vidéos, de publicités pour divertir votre cerveau au bout de deux minutes de concentration...

- Merci pour la pique.
Bref, vous n'avez pas répondu à ma question initiale : le site en est à sa seconde version, c'est bien cela ?


- Oui, raison pour laquelle nous sommes là tous les deux.

- Hum... Je ne vois qu'une seule personne pour ma part.

- En janvier 2024, j'ai mis en ligne le présent site. J'ai changé l'extension du nom de domaine qui est passé de makibook.net à makibook.fr pour plusieurs raisons que je ne détaillerai pas ici, j'ai revu tout le design afin qu'il soit plus facilement modifiable, j'ai amélioré la lisibilité et le parcours de l'ensemble des chroniques, j'ai rajouté une page avec quelques liens musicaux.

- Des chroniques qui sont au nombre de ?

- À ce jour : 109 romans, 105 bandes dessinées et 27 essais sont répertoriés.
Et pour terminer sur les aspects techniques, ces pages ont été créées à la main à partir d'un fichier texte vide.

- Hein ? Mais pourquoi ne pas avoir utilisé ces outils de gestion de contenus qui font florès aujourd'hui ?

- Vous pensez à Wordpress et compagnie je suppose...
Disons que je préfère maîtriser la totalité de ce que j'affiche et pouvoir modifier la couleur d'un mot si je le souhaite. Ces puissants outils offrent des services que je ne suis pas capable de mettre en place mais paradoxalement ils sont de vraies usines à gaz qui rendent complexes voire impossibles des opérations toutes simples. Sans parler du coût car vous avez peut-être remarqué que toute publicité est bannie de Makibook !

- En effet, et c'est d'ailleurs agréable ; malgré ma concentration limitée, n'est-ce pas ?
J'aurais bien aimé aborder d'autres sujets comme la place des librairies indépendantes ou celle de la lecture chez les jeunes aujourd'hui.


- Moi aussi, d'autant plus que les écrans bouleversent beaucoup de choses. Et c'est assez inquiétant d'entendre que certains éditeurs publient des nouvelles versions de leurs livres pour jeunesse en remplaçant le passé simple par le passé composé et en simplifiant parfois le vocabulaire...

- Cette longue discussion m'a donné soif ; que diriez-vous de poursuivre cet échange autour d'un thé fumé si vous n'êtes pas fâché ?

- Vous m'avez pas mal cherché, soyez honnête !
Mais votre proposition est une excellente idée ! Qui plus est, nous finissons seuls, personne n'a pu supporter ce longuet caquetage. Alors, laissons donc cette page en plan et poursuivons The lost art of conversation, comme le chante si bien Neil Hannon, dans un douillet salon de thé.

- Attendez, juste avant de partir, un dernier mot à celui ou celle qui aura eu du temps à perdre jusqu'ici ?

- Bien sûr, un mot, un seul : LISEZ !


[Publié le 20/01/24]


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