Makibook
Chroniques d'une évasion littéraire

Romans > Comédie

L A   V I E   E N   S O U R D I N E   David Lodge - 2008

Payot & Rivages - 414 pages
17/20   Aussi jouissif qu'un film de Woody Allen !

    Desmond Bates est un professeur de linguistique en retraite forcée suite à de lourds problèmes d'audition. Après une carrière prestigieuse faite de cours et de conférences internationales, il se retrouve chez lui à divaguer et se morfondre sur sa difficulté à mener une vie sociale correcte.
Sa femme, plus jeune que lui, s'épanouit professionnellement en dirigeant un magasin de décoration luxueux.
Le couple réside dans une belle demeure d'une petite ville, Brickley, située au nord de la capitale anglaise.

  Au tout début du récit, lors d'une réception mondaine, Desmond est abordé par une étudiante qui lui demande ses services pour mener à bien sa thèse sur l'étude stylistique des lettres de suicide. Noyé dans le bruit ambiant dû aux convives, le linguiste répond par l'affirmative à toutes les questions pour minimiser son handicap et se retrouve malgré lui volontaire pour aider la jeune femme.
Il se retrouve chez elle peu après. Sa beauté le trouble et il se fait violence pour couper court à toute poursuite de leur relation. Il est d'ailleurs plutôt comblé par sa femme sur les plans amoureux et sexuel...
Au niveau familial, notre professeur est aussi accaparé par les soucis liés à son père vieillissant au caractère de plus en plus irascible. Ce dernier vit à Londres et refuse de s'enfermer dans une maison de retraite auprès de son fils.

  Cette présentation du roman, en grande partie autobiographique, peut laisser de marbre et paraître traiter de problèmes assez anodins et pathétiques.
Les sujets abordés sont en effet ceux de la vie ordinaire bien souvent ; mais décrits par le grand David Lodge, les petites tragédies se transforment en scènes vraiment délicieuses lorgnant sans cesse du côté du burlesque.
La surdité du personnage principal est source de nombreux quiproquos hilarants. Ses râleries sur les fêtes de fin d'année ou les centres de vacances du type « Center Parcs » font penser aux monologues incessants de l'acteur Woody Allen dans ses meilleurs films. Ses relations avec le sexe opposé sont parfaitement réalistes et criantes de vérité. Enfin, son compte-rendu de sa visite dans le camp de concentration et d'extermination d'Auschwitz prend littéralement aux tripes...

  Le récit est par ailleurs très fluide et agréable à lire. Il nous plonge tantôt dans le fonctionnement chaotique des appareils auditifs ou l'apport de la surdité dans les œuvres de Beethoven et Goya, tantôt dans les fantasmes sexuels de Desmond à travers quelques passages croustillants dosés juste comme il faut en érotisme.
Parfois grave, souvent drôle, La vie en sourdine est un roman jouissif et son auteur un maître dans l'observation des comportements sociaux humains. Une belle pincée d'humour et de légèreté avec en filigrane une profonde réflexion sur la vie de famille, la maladie et la mort. Great Mister Lodge !


[Critique publiée le 19/04/19]

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L ' H O M M E - D É   Luke Rhinehart - 1971

Éditions de l'Olivier - 521 pages
13/20   Quand les dés prennent la place de Dieu

    Dans le milieu de la psychiatrie new-yorkaise de la fin des années 60, un éminent spécialiste, Luke Rhinehart, se trouve en perte de sens et de repères. Confortablement installé dans un rythme ronronnant fait de certitudes, de pouvoir et de réussite, il découvre par hasard qu'une paire de dés peut l'amener à mettre du piment dans son quotidien.

  Attiré par sa voisine, également épouse de son meilleur collègue, il décide de laisser les dés choisir s'il peut ou non la violer, rien que ça ! Les deux petits cubes lui disent de passer à l'action. Dès lors, Luke, se met à confier tous ses choix quotidiens aux dés et commence à enseigner cette nouvelle philosophie de vie à sa femme, ses enfants et ses patients à qui il conseille : « Cessez d'essayer de vous créer un modèle, une personnalité, contentez-vous de faire ce dont vous avez envie. »
Son caractère totalement changeant, imprévisible et incohérent le fait passer pour un fou.
Convaincu que l'homme doit laisser s'exprimer les multiples facettes de son Moi, le psychiatre s'enfonce dans sa nouvelle théorie et commet des actes sidérants autour de lui. Il en vient même à mettre en jeu des vies humaines...

  Ce livre interroge la condition humaine sur de nombreux points.
Devons-nous laisser libre cours à tous nos fantasmes ? Où s'arrête notre liberté et celle d'autrui ? La vie en société constitue-t-elle un carcan bridant les individus ? Peut-on pousser à son paroxysme le libre arbitre ? Chaque instance de notre Moi peut-il passer au premier plan dans notre comportement quotidien ? Le hasard rend-il plus heureux ? Les questions soulevées par ce roman sont infinies...
Pour le psychiatre new-yorkais : « Si nous nous cantonnions toujours dans ce qui nous était naturel au départ, nous ne serions que des espèces de gnomes rabougris en comparaison de notre potentiel. Il faut incorporer sans cesse de nouveaux domaines d'activité humaine pour essayer de nous les rendre naturels. »

  Roman devenu culte par la folle théorie qu'il développe, L'homme-dé ne m'a pas subjugué au plus haut point.
De nombreux chapitres sont passionnants et prenants à lire mais certaines pages sombrent dans des considérations psychanalytiques parfois laborieuses et le roman aurait gagné à en être écourté. Peut-être que la relative ancienneté de ce texte explique son style un peu ampoulé aujourd'hui ?
Enfin, malgré des scènes croustillantes oscillant entre violence et sexe, je suis un peu resté sur ma faim quant aux situations improbables qu'une vie soumise aux dés pourrait fabriquer.

  Bref, une idée brillante sous-tend l'œuvre de Luke Rhinehart. Dommage que l'histoire qu'il a tissée à partir de ce matériau ne soit pas davantage extravagante et hallucinée ! À lire néanmoins pour tous les passionnés de sciences humaines.


[Critique publiée le 19/04/19]

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L ' E X T R A O R D I N A I R E   V O Y A G E   D U   F A K I R   Q U I   É T A I T   R E S T É  
C O I N C É   D A N S   U N E   A R M O I R E   I K E A
  Romain Puértolas - 2013

Le Dilettante - 253 pages
10/20   Un récit inégal et informe

    Cette histoire rocambolesque débute par l'arrivée en France d'un fakir indien, grand et sec, qui s'appelle Ajatashatru Lavash Patel.
Il est venu d'Inde en avion pour un court séjour dans notre pays. Son unique objectif est de se rendre dans un magasin Ikea pour acheter le dernier modèle de lit à clous.
Son transfert de l'aéroport au célèbre magasin suédois se fait à bord du taxi d'un gitan. Au moment de régler sa course, le maître de l'illusion l'arnaque avec un faux billet de cent euros qu'il récupère subrepticement au dernier moment.
Ajatashatru a prévu de se laisser enfermer pour dormir dans une chambre témoin chez Ikea. Malheureusement, un changement de collection s'opère durant sa présence ; il se retrouve alors bloqué dans une armoire déménagée par camion vers le Royaume-Uni !
L'aventure commence alors à bord du poids-lourd qui renferme quelques clandestins en quête d'un monde meilleur. Le fakir devient aux yeux de ses nouveaux compagnons, dont Wiraj un soudanais avec qui il se lie d'amitié, un migrant de plus qui cache bien son jeu en racontant une histoire totalement improbable.
Après un passage forcé par l'Espagne, la méprise est reconnue par les autorités et l'homme enfin libéré grâce à ses papiers en règle. Mais un destin extraordinaire continue de s'abattre sur lui : il se retrouve coincé dans la malle de voyage de la célèbre actrice Sophie Morceaux. Cette dernière, touchée par le parcours de l'indien, lui offre la pension dans un hôtel de luxe et le met en relation avec un éditeur. Ajatashatru a en effet écrit, dans la soute d'un avion, un livre sur sa chemise avec un crayon en bois Ikea !
Ses péripéties vont être encore très riches entre sa rencontre amoureuse avec Marie et un voyage imprévu à bord d'une montgolfière qui le conduira jusqu'en Libye...

  Voilà quelques éléments de ce roman qui part un peu dans tous les sens.

  L'ensemble m'a donné l'image d'un livre maladroit et lourd dans sa construction narrative. J'ai eu l'impression que les différents chapitres, personnages et situations étaient mal raccordés entre eux. La rencontre avec Sophie Morceaux est assez indigeste et incongrue dans le déroulement global du récit. La relation avec le chauffeur de taxi du début est mal exploitée. L'écriture d'une histoire sur une chemise, le naufrage d'une montgolfière dans la mer sont des exemples supplémentaires de situations décousues.
Évidemment, ce roman cocasse n'est pas à lire au premier degré. Mais je n'ai pas réussi à trouver le bon ton, le bon décalage...
Le véritable intérêt, malheureusement pas assez développé, concerne les réflexions sur le statut des migrants. Romain Puértolas, lieutenant de police à la direction centrale de la police aux frontières, maîtrise le sujet et le vit au quotidien. Il écrit des pages poignantes sur un sujet plus que jamais d'actualité : « Pour la police, ils étaient des clandestins, pour la Croix-Rouge, ils étaient des hommes en détresse. »
Toujours en parlant de ces réfugiés qui fuient des pays en guerre, l'auteur nous rappelle que naître du « bon » ou du « mauvais » côté de la Méditerranée n'est qu'une simple question de hasard que nous avons bien trop souvent tendance à oublier : « Pourquoi certains naissaient-ils ici et d'autres là ? Pourquoi certains avaient-ils tout, et d'autres rien ? Pourquoi certains vivaient-ils, et d'autres, toujours les mêmes, n'avaient-ils que le droit de se taire et de mourir ? »

  L'extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea a été écrit en deux semaines dans les transports en commun entre domicile et travail. Son auteur connaît depuis le succès à travers plus de trente-cinq pays.
Je ne sais pourquoi la critique a été aussi dithyrambique à l'égard d'un livre tout au plus convenable et léger pour une lecture d'été... Le cruel manque d'unité, de cohésion et de profondeur est une réelle source de frustration. Sans oublier la fin qui est mièvre et trop vite amenée. Dommage !


[Critique publiée le 19/11/16]

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P O D I U M   Yann Moix - 2002

Grasset - 496 pages
19/20   Fous rires garantis à chaque chapitre !

    La grande réussite de ce livre, c'est de faire rire. Rire aux éclats même.
La deuxième chose, c'est la folie de l'auteur. Yann Moix a imaginé l'univers quasi-intégriste d'un adorateur de Claude François.

  Bernard Frédéric, c'est son nom de scène, est sosie de Cloclo depuis plusieurs années. Accompagné de son fidèle Couscous (ancien sosie de Claude François reconverti en C. Jérôme), il a écumé les scènes de province du côté d'Orléans. À son actif, on peut ainsi citer les podiums Paul Ricard, la foire aux asperges de Tigy, la Quinzaine Yoplait des Trois Mousquetaires, la soirée des Catherinettes sur le parking du Shopi de Garches ou encore la fête du saucisson de Bucy-Saint-Liphard.
Les deux compères travaillent à la plonge dans la cafétéria de l'Arche sur l'aire d'Orléans-Gidy et mènent une vie routinière et rangée depuis quelques années, loin des galas et représentations dans les maisons de retraite...
C'est une sélection pour participer à l'émission C'est mon choix de Evelyne Thomas qui va redonner du peps à Bernard Frédéric. Consacrée aux sosies et organisée autour d'un concours pour élire le meilleur, l'émission trash de France 3 va relancer la carrière de Bernard et lui faire ressortir pattes d'eph' et cols pelle-à-tarte.

  À travers la vision posée du narrateur, Couscous, le lecteur découvre la vie hystérique et excentrique du sosie de Claude François. Sa personnalité à tendance violente, outrancière et ordurière est décrite avec jubilation à travers quelques scènes bien choisies.
Ainsi, Bernard aime les restaurants avec des formules à volonté. Démesurément radin, il suit l'adage à la lettre et n'hésite pas à manger comme un ogre pendant des heures après avoir passé plusieurs jours à jeûner en vue des festivités culinaires.
À ses yeux, tout est prétexte à protester de façon immodérée. La géniale scène du restaurant le Chevreuil illustre à merveille (cela dépend pour qui) l'état dans lequel il est capable de se mettre en réaction à un petit désagrément. Ce restaurant ne possédant que des toilettes à la turque, Bernard Frédéric se fait un plaisir d'y refaire la décoration à sa façon. Les clients qui passeront derrière lui auront des réactions très différentes mais tous se souviendront à vie du spectacle offert. Et comme notre vedette le dit lui-même à son ami Couscous : « Le 11 septembre à côté c'était un entartage de Noël Godin. »
Autre réplique culte lorsque Bernard décrit sa prestation dans un karaoké de province sur le titre Comme d'habitude : « Johnny au Stade de France, à côté, c'était un Playmobil dans un évier. »

  Arrive bien sûr le recrutement des Clodettes, euh non, des Bernadettes of course. Nos deux amis rendent visite à leurs anciennes danseuses et passent une petite annonce dans la presse. En visite chez Karen pour tester ses connaissances en claudologie appliquée, Bernard y découvre un chat angora. Haïssant cet animal, il va l'amadouer dans un premier temps et finir par l'étriper en lui faisant faire un vol qui restera dans les annales de l'aéronautique. La scène se terminera en fiasco lorsque la mère de Karen, ayant vu le geste mal intentionné, le dénoncera à sa fille et que celui-ci, protestant encore davantage, qualifiera la vieille de « vieux machin ».
Malgré les tentatives de sa compagne Véro (sœur de Couscous) pour tenter de l'écarter de cette vie sans personnalité propre (la scène chez « l'exorsosiste » avec des malades de Johnny, Sardou, Dalida ou Carlos vaut elle aussi son pesant de cacahouètes), Bernard Frédéric parviendra à recréer une équipe de choc avec quatre Bernadettes : Maïwenn, Melinda, Delphine et Magalie.

  Il y aura le pèlerinage au Moulin de Dannemois (demeure de Claude François entre Corbeil-Essonnes et Milly-la-Forêt), siège du C.L.O.C.L.O.S (Comité Légal d'Officialisation des CLOnes et Sosies). Là, Bernard Frédéric se prosternera devant son Dieu après avoir écarté tous les autres visiteurs des abords de la statue représentant le chanteur. Au Moulin, tout est organisé dans le culte de Cloclo : des fêtes claudiennes sont organisées et les Cloclotels accueillent les pensionnaires. Le CEC (Centre d'Etudes Claudiennes) est un pôle universitaire où de nombreux chercheurs étudient la vie et l'œuvre de Claude François. Une prépa, sanctionnée par des examens nationaux, est ainsi accessible pour celui qui souhaite devenir sosie officiel de Claude François.
Que dire des autres scènes ?
Les « sardonnades » du samedi soir où les sosies de Clolo se rassemblent pour aller se battre contre les sosies de Sardou.
Le Mouvement Magnolien International qui veut créer des clones de Claude François (des « Cloclones ») tout comme l'on reproduit à l'identique des fleurs de magnolia.
Etc.

  Cette histoire totalement déjantée regorge de scènes cultes, de références kitsch, de répliques tueuses. Chaque chapitre contient des trésors d'imagination. Pour bien critiquer ce livre, il faudrait presque le ré-écrire à l'identique car tout y est dit, analysé, disséqué avec une sorte de folie furieuse propre à Bernard Frédéric mais aussi à l'auteur Yann Moix.
Ce dernier est allé jusqu'au bout de son délire. Bien sûr, il a repris un tas d'éléments véridiques sur la vie de Cloclo (et cela permet d'en apprendre davantage sur cette destinée tragique), mais il a créé un univers décalé autour du culte de sa personnalité.
Ainsi, le livre se termine par une série d'annexes avec des revues de presse, les biographies détaillées des sosies célèbres de Claude François, un tableau représentant la répartition des quotas de sosies officiels selon l'année des principaux chanteurs français, etc. Et également l'explication du calendrier claudien (calendrier basé sur l'année de naissance de Cloclo et qui est utilisé pour dater les événements en rapport avec les activités du C.L.O.C.L.O.S). Pour les matheux, l'algorithme de conversion des dates civiles en dates claudiennes est décrit sous forme d'équations.
Que dire du détail des épreuves pour accéder au rang de cloclo officiel ? Une annexe reprend i-n-t-é-g-r-a-l-e-m-e-n-t un exemple d'annales corrigées de l'examen officiel (Académie d'Aix-Marseille, session 1984). L'épreuve concerne la musicologie avec option disco. L'énoncé est Etude analytique d'Alexandrie, Alexandra. Le texte de la correction suit dans un charabia savant et impressionnant qui laissera pantois plus d'un lecteur. Un mélange de rire, d'admiration et de peur vous saisit à sa lecture. Est-ce du délire pur ? Une analyse véritable qui tient la route pour les musicologues ?
Dans la profondeur de son délire, Yann Moix rejoint d'une certaine façon son héros, Bernard Frédéric, qui vit uniquement pour et par Claude François.

  Ce roman, qui est aussi une réflexion sur les sosies, nous montre le pouvoir de l'image, de l'apparence dans nos sociétés modernes. La perte d'identité, la déshumanisation sont des sujets traités en fond. Ainsi, le lecteur rit aux premiers abords. Mais s'il réfléchit un peu et gratte la première couche de paillettes, il découvre une existence pathétique qui est proche finalement du néant.
Avec la recherche de la célébrité éphémère dont les émissions de télé se font le relais avec un appétit commercial, on touche là un sujet de société très actuel qui change nos rapports sociaux et tend malheureusement à nous écarter de nos valeurs fondamentales.
Les derniers chapitres précipitent d'ailleurs le lecteur vers une chute finale qui laisse un goût amer dans la bouche. Mais, comme le prévient Couscous, on peut s'arrêter avant...

  Podium est une œuvre littéraire bien sûr (très bien écrite) mais aussi un film sorti en 2004 et porté par le génialissime Benoît Pœlvoorde.
Yann Moix a réalisé la comédie pour le grand écran car il est aussi cinéaste. Celle-ci est donc intrinsèquement liée au livre. Bien que les histoires comportent un certain nombre de différences, le livre a été écrit pour convaincre l'acteur belge de jouer le sosie de Cloclo. Podium est un projet qui gravite ainsi autour de la personnalité de Pœlvoorde et qui a été créé spécialement pour lui. Malheureusement, on s'en tiendra seulement à imaginer les mimiques de l'acteur car la version cinéma est un échec...
Où sont passées les scènes cultes du livre ?? La formule à volonté ? L'audition des Bernadettes ? Quasiment toutes les répliques ont été enlevées ! Que reste-t-il au final ? Un joli numéro d'acteur pour l'interprète de Cloclo et de belles images. Mais le piment du livre s'est envolé. Pour résumer, on peut dire que le film n'ose pas contrairement au livre qui est une bombe. Yann Moix s'est fourvoyé dans une adaptation mièvre et consensuelle qui fait à peine rire. A-t-il subi des pressions commerciales ?
Certes, le film pourra passer agréablement aux heures de grande écoute sur TF1 ou sa copine M6. Quant au livre, il restera un délice réservé aux curieux... Et ce n'est peut-être pas plus mal.

  En guise de conclusion, un extrait (mais quasiment tout le livre serait à citer !) :
« Bernard dévisage sa première Bernadette potentielle.
- Ton nom.
- Brigitte.
- Brigitte quoi ?
- Leclerc.
- Tu répètes l'ensemble.
- Brigitte Leclerc.
- "Mon nom est Brigitte Leclerc."
- Pardon...
- Allez, on se dépêche, là, on perd du temps.
- Heu... Mon nom est Brigitte Leclerc.
- Tu sais ce qui t'amène, n'est-ce pas ?
- Oui...
- T'es bizarre, niveau corps... C'est tes guibolles qui sont bizarres. On voit plus quand ça s'arrête... Alors que le reste est tout ratatiné comme un nain. On dirait Mimie Mathy avec des échasses. Couscous !
- Oui Bernard ?
- T'en penses quoi ? Tu trouves pas qu'elle fait un peu boule de pétanque montée sur des pattes de moustiques ?
Je suis horriblement gêné que Nanard fasse de tels commentaires devant la fille que je tente, par une série de regards complices, de rassurer.
»


[Critique publiée le 23/12/08]

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P A R T O U Z   Yann Moix - 2004

Grasset - 410 pages
18/20   Moix est un auteur complètement allumé

    Ce livre est totalement déjanté. Le lecteur retrouve le même type de délire que dans le génial Podium mais, cette fois-ci, le mythe Cloclo est remplacé par un mélange salace entre terrorisme et sexe. L'écrivain né en 1968 construit une théorie expliquant que les attentats contre le World Trade Center sont consécutifs à la frustration sexuelle de leurs auteurs.
Il est presque impossible de résumer ou critiquer un tel récit et de le classer dans un genre précis tant les digressions en tout genre, les théories incroyables, les analyses farfelues, les réflexions infinies, les exégèses hallucinantes foisonnent à chaque chapitre.
À nouveau, Yann Moix fait dans le Moix pur beurre. Et comme toujours avec lui, on aime ou on déteste. On se délecte de sa prose ou on jette l'ouvrage au feu. On jouit intellectuellement ou on est profondément choqué.

  La lecture de la table des matières peut constituer une bonne approche pour appréhender le contenu de cet ovni littéraire. Voici par exemple les titres de quelques chapitres que l'on peut y trouver :
« Romantiques ramasseurs de râteaux »
« Essaims de bites »
« Michel Houellebecq est un con »
« Adolf Hitler et ma mère »
« Vraies fraises vs. fraises Tagada »
« Suceuses céliniennes, fellations proustiennes »
« Astrophysique de la partouz »
« Posages d'IMLF »
« Poitrine rémoise de 1989 »
« Les gens laids »
Voilà, le ton est donné et je me suis abstenu de citer des titres bien plus explicites encore...

  Les oreilles prudes peuvent passer leur chemin car ici tout le champ lexical du sexe est ressassé à l'infini, trituré dans ses moindres recoins, étalé dans sa profondeur la plus crue.
Les relations avec les femmes sont présentées d'un point de vue évidemment masculin et Yann Moix énonce sans tabou ce que pensent beaucoup de ses congénères. Par exemple, il trouve interminable la diplomatie dont il faut longuement user avant de pouvoir coucher avec une fille : « Il fallait toujours recommencer à les séduire pour coucher avec, à échanger des idées, pour les niquer. C'était toujours elles qui gagnaient. »
Mais l'auteur va bien plus loin que cela dans ses analyses philosophiques, dans ses mises en scène loufoques, dans le portait acide qu'il dresse de la société. Car au-delà de propos souvent pornographiques, le lecteur saisit parfaitement la déchéance du monde moderne, le néant et la solitude dans lesquels baignent les sociétés occidentales. Ainsi, Partouz fait penser au Plateforme de Houellebecq mais avec un propos bien plus débridé et à la puissance de tir phénoménale.
Ses inventions permanentes de mots, ses énumérations sans fin, ses images sagaces, ses rappels biographiques à chaque citation de personnage, ses références redondantes à ses maîtres (Charles Péguy, André Gide, ...) constituent la marque de fabrique que l'on retrouve dans toute son œuvre et qui l'identifie de manière unique dans la création littéraire actuelle.

  Yann Moix - le protégé de Bernard-Henri Lévy, chose qui en agace beaucoup - adore provoquer, il en jouit même. Mais pour autant, le lecteur ne doit pas tout prendre au premier degré et doit savoir interpréter avec humour et décalage les propos détonants de cet auteur brillant.
La lecture du récit se fait facilement jusqu'au bout et l'inventivité de ses propos est épatante au premier, second ou troisième degré. N'est-ce pas finalement le principal ?
Pour conclure, voici un nouvel extrait où Yann Moix fait dans l'autodérision et n'hésite pas à dénigrer la littérature germanopratine, narcissique et bien souvent ennuyeuse, qui fait les beaux jours des salons de thé parisiens...
« Je ne me suis pas vraiment présenté. Je m'appelle Jean-Baptiste Cousseau, tout le monde m'appelle Couscous - je suis "écrivain". Je suis moins médiatique que des gens comme Frédéric Beigbeder (1965-....), Guillaume Dustan (1965-....) ou ce connard de Yann Moix (1968-....). Pendant qu'ils passent à la télé, pendant qu'ils ardissonnent, pendant qu'ils se dechavannent, moi je travaille. J'écris. Des livres très serrés : ils sont plus profonds que les leurs. Plus fouillés (ce n'est pas très difficile). Je les laisse à leurs "romans de rentrée", à leurs automnes, à leurs littératures pour fillettes, leurs alexandries-alexandras, leurs alexandrejardineries. Leurs jardins-à-la-française : ils écriraient sur l'art du bilboquet ou un Traité des verrues que ça reviendrait au même. Il ne restera rien d'eux. »


[Critique publiée le 01/01/14]

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