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Chroniques d'une évasion littéraire

Essais > Société

D E H O R S   Yann Moix - 2018

Grasset - 363 pages
20/20   Un cri d'indignation dans un écrin littéraire

    « Un enfant, monsieur le Président, n'est jamais un étranger. Un enfant, où qu'il soit, quel qu'il soit, se trouve toujours au pays des enfants. Le seul pays des enfants, ce n'est pas l'Irak, l'Iran, la Syrie, le Liban, l'Italie, ni la France ; le seul pays des enfants, monsieur le Président, c'est l'enfance. »

  En 2017 et 2018, Yann Moix s'est intéressé de près à la situation des migrants à Calais. Après de nombreux allers-retours sur le lieu, caméra au poing, il a monté un documentaire pour Arte. Re-Calais a été diffusé le 9 juin 2018 sur la chaîne franco-allemande.

  Effaré par l'expérience qu'il a vécue dans la zone de non-droit, il a également adressé une lettre ouverte au président de la République Emmanuel Macron afin de dénoncer sa politique d'accueil des migrants. Publié le 21 janvier 2018 dans le quotidien Libération, la tribune n'a pas manqué de faire réagir le préfet du Pas-de-Calais ainsi que le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb.
L'écrivain a finalement poursuivi sa démarche en écrivant un livre entier à l'attention du Président français. Dehors est une longue missive de plus de trois cents pages où Moix dénonce dans son style bien à lui une politique qu'il juge indigne d'un chef d'État prônant dans ses beaux discours une Europe solidaire et fraternelle envers les peuples en souffrance.

  Yann Moix, génial écrivain de l'excès et de l'absurde, ose prendre position et vider son sac face à la démagogie politique qui perdure sur le sujet des migrants depuis le mandat de Nicolas Sarkozy. Évidemment, on pense tout de suite au J'accuse... ! d'Émile Zola qui prit la défense en 1898 de Dreyfus à travers une lettre adressée publiquement au président Félix Faure. Cela conduira le grand écrivain, au sommet de la gloire, à s'exiler à Londres.
Victor Hugo avait déjà lui aussi publié en 1852 un livre pamphlétaire, Napoléon le Petit, dans lequel il dénonçait avec violence le coup d'État commis par Louis-Napoléon Bonaparte l'année précédente. Il deviendra un proscrit et quittera la France pour la Belgique puis les îles anglo-normandes...
Il y a ainsi une tradition française de l'écrivain garant de la justice et du respect des valeurs de la République : liberté, égalité et fraternité. En toute humilité, Moix s'inscrit dans cette lignée. Et là aussi est tout le pouvoir de la littérature : dénoncer, se révolter, crier l'injustice. L'écrivain est le témoin de son époque, il est le représentant le plus légitime pour traduire en mots les maux du monde. L'écrit demeure l'arme la plus réfléchie ; il permet de poser les faits, d'engager une réflexion, d'approfondir la compréhension, d'enrichir de manière pérenne le débat. Le livre est l'arme de l'intelligence.
La France reste un pays où l'expression n'est pour le moment pas censurée. Nos écrivains doivent saisir cette chance quand d'autres mettent leur avenir en jeu pour avoir pris position avec leur stylo contre des exactions bafouant les droits primordiaux humains. Je pense par exemple à Asli Erdogan en Turquie.

  Rédigé en un mois et demi seulement - un bel exploit -, Dehors décrit de façon factuelle le fonctionnement de la zone calaisienne et de la politique migratoire française tout en livrant des témoignages plus personnels de l'auteur à la suite de son séjour en immersion auprès des victimes directes de cette tragédie mondiale.
L'auteur du gigantesque Naissance, en grand amoureux des mots qu'il est, revient longuement sur le choix du terme « migrant ». Ce mot est selon lui inapproprié et est à remplacer par son cousin « exilé ». Le premier reflète une action choisie de changer de lieu tandis que le second sous-entend le bannissement, l'arrachement, l'obligation de fuir.
Ainsi, il écrit :
« Le migrant est installé à l'intérieur ; l'exilé est propulsé à l'extérieur. La migration est une marche ; l'exil est un bond. La migration est une possibilité ; l'exil est une nécessité. La migration est un au revoir ; l'exil est un adieu. La migration est paix ; l'exil est guerre. La migration est un bonheur ; l'exil est un malheur. La migration est organisée ; l'exil est précipité. La migration est voulue ; l'exil est subi. »
Ou plus loin :
« Le lieu de la migration, c'est une destination ; le lieu de l'exil, c'est l'exil. La migration est transitoire ; l'exil est perpétuel. La migration est finie ; l'exil est infini. »

  Yann Moix construit son discours en s'appuyant sur le texte de Virgile, l'Énéide, qui relate la fuite d'Énée de la cité de Troie dévastée par les grecs.
Il dénonce également l'absurdité des accords du Touquet signés au début des années 2000 et laissant à la France le soin de stopper le flux des exilés vers la Grande-Bretagne. Le Brexit n'a d'ailleurs rien changé, Theresa May s'étant contentée de verser une somme d'argent à notre pays afin de poursuivre son petit marché de sous-traitance du contrôle aux frontières...

  Le fil rouge de ce pamphlet réside dans cette contradiction grossière entre les discours et les actes du président de la République. Ainsi, l'auteur du tragique Anissa Corto étrille à de nombreuses reprises le chef de l'État :
« Votre discours est l'inverse de votre action. »
« Vous vous croyez éloquent : vous n'êtes que démagogue. »
« Essayez, monsieur le Président, d'écouter ce que vous prononcez : vous embrassez toutes les évidences, vous convoquez toutes les tautologies. »
« Je me souviens, disais-je, d'un discours à la Sorbonne. Ce sommet de verbiage convenu, ce chef-d'œuvre du panache rapetassé et de l'éloquence flapie fut péroré, disais-je encore, le 26 septembre 2017. Dans cette terne envolée, vous sortez les grands mots comme jadis, le dimanche, on sortait le haut-de-forme. Dès la première minute, les mots "histoire", "identité", "horizon", "avenir" jaillissent de votre bouche comme, sur le parvis du Centre Beaubourg, les flammes du cracheur de feu torse nu qui se gargarise d'essence à briquet. »

  Autre fait, déjà connu depuis longtemps, mais qu'il faut toujours rappeler : l'Europe est un grand fabricant d'armes et Macron comme ses homologues se félicitent à chaque nouveau gros contrat remporté. Ces mêmes armes feront le lit des violents conflits en Moyen-Orient et en Afrique jetant ainsi des populations désespérées sur les rives méditerranéennes en quête d'un monde meilleur. Ainsi, l'exemple de l'entreprise Thales est éloquent : pourvoyeur de missiles et fusils d'un côté, fournisseur des drones de surveillance des migrants à Calais de l'autre. Un bel exemple d'économie circulaire ! L'Europe de l'argent avant celle de l'humanité.
Yann Moix ne mâche pas ses mots :
« La France, cette belle patrie des beaux droits de l'homme, appuie au Yémen une campagne militaire particulièrement meurtrière. Vous vous réjouissez, je crois, des records de ventes d'armes - à la coalition saoudienne - que nous battons dans cette région en péril, où les ennemis désignés sont les Houthis chiites. »
Et encore :
« Les crimes de guerre font des heureux en France, c'est l'essentiel. Les cadavres des innocents servent de vitrine universelle à l'excellence technologique nationale, monsieur le Président - nous sommes fiers de vous. »

  La notion de « délit de solidarité » est battue en brèche très simplement : citant des citoyens de tout horizon, l'auteur montre quelques exemples aberrants de secours portés à des hommes, femmes et enfants en souffrance absolue et freinés dans leur urgence par des considérations procédurières avant d'être souvent condamnés ensuite par la justice ! Ces anonymes qui devraient être salués comme des Justes sont aujourd'hui vilipendés. C'est, par exemple, le cas de Mme Landry :
« Mme Martine Landry, pour laquelle j'ai plus de respect que je n'en aurai jamais pour vous - pour cette simple raison qu'elle incarne davantage que vous la République dont vous n'êtes que le Président quand elle en est le symbole ; pour cette évidente raison que de la République vous n'avez en charge que la présidence quand elle en a en charge la survivance -, Mme Martine Landry est membre d'Amnesty International ; c'est une délinquante de soixante-treize ans. Elle risque cinq ans de prison et trente mille euros d'amende pour avoir aidé deux exilés mineurs venus d'Italie à pénétrer "pédestrement" en France. »

  Yann Moix manie la langue française à la perfection. Son texte est donc d'autant plus convaincant et justifié.
Il excelle dans l'usage d'envolées lyriques, redondances, anaphores et autres phrases coups de poing. Prince de la prose, l'auteur du burlesque Podium ponctue sans cesse son discours de « Monsieur le Président », rappelant ainsi avec respect que son texte n'est rien d'autre qu'une longue interpellation à celui qui possède une grande partie des clés pouvant améliorer la tragédie qui se joue en Europe et à ses portes.
Le style Moix est entier, excessif avec justesse, percutant et tellement puissant :
« Je sais bien, monsieur le Président, que vous ne savez pas de quoi je parle ; vous n'avez jamais mis les pieds à Calais. Le Calais que vous visitâtes le 16 janvier 2018 n'existe pas, n'a jamais existé. C'était un Calais de cinéma, un Calais classe affaires, un Calais de luxe ; c'était un Calais purgé. Le Calais où vous fîtes un autre de vos fameux discours n'était pas situé à Calais, mais sis dans vos idées. Ce n'était plus le Calais de l'exil, mais le Calais de l'Élysée. Ce n'était plus un Calais d'errance ; c'était un Calais de présidence. Ce jour-là, il y avait moins d'Afghans à Calais qu'à Winnipeg. C'était un Calais pipé. C'était un Calais arrangé. C'était, monsieur le Président, un Calais sur mesure. C'était un Calais macronisé. »

  Dénonçant les tests osseux et les interrogatoires délirants permettant de déterminer si un individu est mineur et donc automatiquement accueilli et protégé par l'État français, Moix « s'amuse » à écrire des lettres de refus. Il laisse ainsi éclater ses talents d'orateur de l'absurde, de dialoguiste de l'impossible dans de longs monologues caricaturant à peine la bureaucratie étatique empêtrée dans sa lourdeur face à des situations humaines réclamant avant tout écoute et compréhension. On se surprend même à rire dans la réponse imaginaire invitant un certain Najib à se suicider proprement pour ne point déranger. Un rire pathétique, un rire oscillant entre pitié, révolte et saturation face à ce déluge de comportements odieux de la part des caciques de l'État français !

  Le chapitre entier dédié au ministre de l'Intérieur est absolument jouissif. J'ai relevé l'ensemble des quolibets incroyables dont Moix affuble Gérard Collomb. En voici la liste :
« tyranneau décati de l'Intérieur »
« Javert cacochyme »
« bouddha chimiothérapique »
« croque-mort de Morris »
« piaculaire punaise de Jupiter »
« corrodante éprouvette d'acide faite d'homme »
« momie frustrée »
« Monte-Cristo de série Z jailli de son ergastule lyonnais »
« rudéral séide »
« aigrefin d'illustré d'avant-guerre »
« excavé héraldique »
« imperturbable Première volaille de France »
« Gnafron de l'hubris »
« flaccide créature »
« Verdurin des noyés d'aujourd'hui
»

  Et une dernière citation pour le plaisir : « Attifé comme un notaire de la IIIe République, endimanché comme un bourgeois de Charleroi, M. Collomb ânonne, avec une componction sacerdotale, les salmigondis les plus indigents sur tous les sujets qu'il effleure. M. Collomb a le verbe poussif, l'expression morne et le débit paralytique. »

  Que penser du soutien de la France au régime dictatorial du Soudan dans le traitement des migrants ? Collaborer avec les fonctionnaires d'un chef d'État accusé entre autres de crimes contre l'humanité est honteux.
Comment accepter que les compagnies aériennes en France soient dans l'obligation de reconduire ces malheureux dans leur pays d'origine sous peine de se voir infliger de terribles amendes ?
Comment rester insensible face à ce témoignage du jeune homme qui a préféré se suicider dans son centre de rétention français quand il a appris le rejet de sa demande d'asile et pensé aux tortures mortelles qui l'attendaient à son retour « chez lui » ?
Idem en Scandinavie : « En suède, monsieur le Président, des jeunes exilés se sont donné la mort pour ne pas rentrer chez eux ; ils ont préféré la mort choisie à la mort subie. »

  Face aux démagogues et inconscients qui n'ont pas encore compris ce qui nous attend, Moix n'oublie pas de mentionner que le réchauffement climatique est aussi en grande partie à l'origine des migrations et exils actuels. Son emballement va provoquer à court-terme des mouvements bien plus conséquents qu'aujourd'hui : « D'ici trente ans, monsieur le Président, deux cent cinquante millions d'exilés auront quitté leur contrée pour des raisons climatiques. [...] Le réchauffement climatique va exacerber et multiplier les dangers, produisant à l'infini de la mort et de la souffrance. [...] Les frontières seront redessinées, renégociées non par les décisions des hommes mais par les caprices de la nature. Les typhons prendront la place des dictateurs. »

  Yann Moix fait dans Dehors un état des lieux sur la crise migratoire actuelle. Il s'adresse avec ferveur à Emmanuel Macron, garant des valeurs républicaines de liberté, égalité et fraternité, pour l'interpeller sur le manque de compassion de la France envers les exilés et lui démontrer l'absurdité des situations quotidiennes vécues par ces hommes, femmes et enfants qui meurent à petit feu.
Un livre poignant, courageux, essentiel et sans concession avec Emmanuel Macron :
« Parce que la première grande crise du 21e siècle, vous l'aurez ratée ; vous vous rendez coupable, non seulement d'amateurisme, mais de non-assistance à personne en danger. »

  Notre président de la République, ostensiblement attaché aux lettres, restera-t-il indifférent au cri de l'un des plus grands écrivains contemporains de son pays ?


[Critique publiée le 19/04/19]

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L E S   P R O I E S   Annick Cojean - 2012

Grasset - 327 pages
18/20   Témoignage effarant sur Kadhafi

    « À force d'avoir été pétris, écrasés, mordus, mes seins étaient affaissés et très douloureux. J'avais vingt et un ans et la poitrine d'une vieille dame. »
Voilà ce que l'on peut lire dans les dernières pages du bouleversant récit de Soraya. Et cela n'est qu'une bien piètre illustration du drame vécu par cette jeune femme.

  Tout le monde le savait plus ou moins. Le grand public, bien sûr, mais aussi et surtout les grands dirigeants et hauts dignitaires de ce monde. Mais en réalité on se taisait, on feignait l'ignorance, on courbait l'échine devant son uniforme de pacotille et surtout son argent qui coulait à flot.
Mouammar Kadhafi, le soi-disant « Guide » qui a régné sur la Libye pendant plus de quatre décennies, était malade et fou. Soraya a vécu dans son intimité et a osé raconter son quotidien dans l'antre du monstre.

  En 2004, à Syrte, l'école de Soraya reçoit en grande pompe Kadhafi. Celui qui détient l'autorité absolue en Libye et qui est présent partout sur les affiches et à la télévision est accueilli comme un prince dans cet établissement scolaire de sa ville natale.
Soraya, fille d'une famille modeste, est choisie à sa grande surprise pour offrir des fleurs et des cadeaux au dictateur. Le soir même elle est enlevée par la garde rapprochée de Kadhafi qui l'a choisie pour satisfaire ses besoins au sein du harem qui le suit en permanence.
Le cauchemar débute alors et durera six ans.
Éloignée brutalement de sa famille, cette fille qui n'est encore qu'une enfant et qui ne connaît rien aux relations amoureuses est directement plongée dans l'intimité de Kadhafi. Et ce dernier ne fait pas dans la dentelle... Lui qui donne l'image d'un grand religieux, respectueux du Coran, frappe Soraya, la viole, la fait boire et la drogue. Même au milieu de la nuit, ne pouvant calmer sa libido excessive, il réveille Soraya qui doit chanter, se déshabiller devant lui en dansant et répondre à toutes ses attentes sexuelles. Il ne l'appelle jamais par son prénom mais par des insultes peu reluisantes.
La jeune fille, qui ne reçoit plus aucune éducation scolaire, découvre l'envers du décor libyen. Elle doit ainsi accompagner le dictateur durant tous ses déplacements en Afrique et jouer la comédie en revêtant une tenue militaire lors des sorties officielles pour donner l'image d'une femme faisant partie de sa garde rapprochée.
En coulisse, Kadhafi « consomme » les filles comme des Kleenex en ne prêtant aucune attention à leurs souffrances physiques et psychologiques. Mabrouka, une femme entièrement à son service, est chargée de gérer son harem et renouveler les effectifs de filles qu'il repère au gré de ses déplacements.

  Celui qui se présentait comme le meilleur défenseur de l'islam violait donc toutes les règles qu'il prônait. Soraya ne l'a jamais vu prier lorsqu'il était seul. Il faisait son numéro uniquement dans les lieux publics comme les stades qu'il remplissait en donnant l'image du maître de l'univers à une foule fascinée.

  Le livre est composé de deux parties.
La première, très impressionnante, est la retranscription par la journaliste Annick Cojean des paroles de Soraya.
La seconde est constituée d'une enquête approfondie sur les mœurs de Kadhafi, ses complices et l'ensemble du système qu'il avait mis en place.
Annick Cojean, bretonne, est grand reporter au journal Le Monde depuis 1981. Elle a livré de nombreux reportages de grande qualité sur divers sujets de société. La souffrance des femmes dans le monde est l'un de ses sujets de prédilection.
Après avoir présenté le documentaire Empreintes sur France 5, elle poursuit aujourd'hui par Duels qui dresse chaque semaine les portraits de deux grandes personnalités rivales.
En 2014, elle a longuement enquêté sur le régime de Bachar el-Assad et l'utilisation du viol comme véritable arme dans le conflit syrien.

  Les proies est un livre édifiant. Je l'ai lu à deux reprises.
Dès la lecture du récit de Soraya, le lecteur est happé par sa terrible histoire. Le rythme d'écriture adopté par Annick Cojean est fluide et parfaitement lisible. Je ne peux que souligner la qualité de son travail au niveau de la forme.
Mais l'intérêt majeur réside bien évidemment dans le fond avec ces révélations incroyables au sujet de Kadhafi. J'ai encore en mémoire sa visite au président français Sarkozy en 2007 qui le reçoit en grande pompe et lui déroule le tapis rouge. Le libyen débarque sur le tarmac avec ses « amazones » dont il abusera peut-être le soir même au sein de sa tente plantée dans les jardins de l'hôtel Marigny...
Tout cela est à peine croyable. Il n'y a pas de mots pour décrire les crimes commis par ce personnage.
Annick Cojean a lancé un pavé dans la mare avec ce témoignage qui a été traduit dans une vingtaine de langues dont l'arabe. Les proies, très diffusé en Libye, a contribué à ouvrir officiellement le débat sur le statut des femmes violées.


[Critique publiée le 19/11/16]

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M É M O I R E S   D ' U N E   F E M M E   D E   M É N A G E   Isaure (en collaboration avec Bertrand Ferrier) - 2012

Grasset - 216 pages
6/20   Lecture ennuyeuse

    Isaure a mené de hautes études à la Sorbonne mais décide de ne pas soutenir sa thèse pour directement rentrer dans le monde du travail. Elle fait ainsi le choix de vivre à son rythme en devenant femme de ménage.
Ce récit autobiographique commence par nous décrire son parcours pour récolter des heures de ménage et prendre contact avec des locataires désireux d'avoir un intérieur propre et rangé.
Chaque chapitre nous ouvre ensuite les portes d'une nouvelle habitation et nous présente les expériences d'Isaure qui démarre dans cette activité.
Le roman est écrit sur un ton mordant lorsque la jeune femme évoque le cadre de vie de ses nouveaux « patrons ». Isaure montre ainsi sa forte personnalité à travers un rejet de la médiocrité ambiante dans laquelle baigne notre société.
Malheureusement, ce style sarcastique perdure au fil des pages. Le texte, qui aurait pu constituer une véritable reconnaissance du statut de femme de ménage, demeure une critique virulente des « bobos » de Paris et sa banlieue. L'auteur ne semble pouvoir supporter leur mode de vie, leurs goûts, ... Quant aux autres qui ne font pas partie du style bourgeois-bohème, leur sort n'est guère mieux : ils se trompent dans la couleur de leurs rideaux, ne savent pas ranger leurs livres, décorent leur intérieur avec mauvais goût.
Pour le lecteur courageux, il faut ainsi se coltiner de longues et ennuyeuses descriptions d'habitations sales, moches, mal entretenues avec un ton moqueur, noir, pessimiste.
Attention au côté déprimant de ce texte !
Ce qui aurait pu être une chronique sociale objective traitant de ce métier de l'ombre après immersion de son auteur n'est qu'un livre fade et sans intérêt.
Isaure cite même les chanteurs Bruel et Goldman et dit aimer les centres commerciaux Leclerc. Le lecteur pourrait aussi trouver de la médiocrité dans ces références, n'est-ce pas ?
En revanche, il faut noter les réflexions intéressantes développées dans le dernier chapitre. Isaure prône une vie minimaliste en stipulant que désormais la possession matérielle l'intéresse moins car elle conduit souvent au mal-être. Les deux cents pages précédentes auraient dû être de cet acabit là aussi.

  Louangé sur différents plateaux de télévision, Mémoires d'une femme de ménage a connu un joli succès en librairie. Pour ma part, je me demande comment l'éditeur Grasset accepte de publier ce genre de récit qui est d'une platitude désolante... Même pris au second degré.


[Critique publiée le 18/07/13]

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M O N   U T O P I E   Albert Jacquard - 2006

Stock - 194 pages
18/20   La vision d'un sage

    Albert Jacquard peut aujourd'hui être considéré comme un sage. Son expérience de la vie, ses rencontres, les réflexions qu'il a menées depuis de longues années et surtout le fait que l'âge avance l'ont conduit en 2006 à proposer le monde qu'il aimerait voir naître pour les nouvelles générations.
L'utopie du grand généticien est un vivier d'idées pour expérimenter de nouvelles formes d'organisations humaines. Nos dirigeants, animés par l'action dans le court terme, ont-ils même conscience des clés proposées ici ?

  L'auteur commence par tracer son parcours avec une enfance enfermée dans les livres et un passage par Polytechnique où, travestit en soldat dit-il, il n'a jamais « rencontré » les enseignants et les élèves qui l'entouraient.
À trente-neuf ans, il décide de suivre des cours de génétique à l'université Paris-VI et découvre une discipline en plein essor : la génétique des populations.
Sa carrière d'enseignant lui a ensuite montré à quel point le système éducatif français était étriqué dans ses convictions.
Car l'homme est convaincu de la place de l'enseignement dans la résolution des maux de ce monde : « C'est à l'école que se joue l'avenir ; c'est donc autour de l'école qu'il faut tenter d'articuler un projet. »
Se plaçant en total désaccord avec l'esprit de compétition qui règne dans les classes, Jacquard fait l'éloge de la lenteur et revendique la place que devrait avoir l'école dans la construction sociale d'un individu : « La lenteur dans la compréhension est donc plutôt un signe favorable. Quand il s'agit d'assimiler des idées nouvelles, la vitesse est inquiétante car elle peut être synonyme de superficialité. » L'école est « là pour aider l'enfant à devenir lui-même, un lui-même qui n'est pas défini à l'avance, qu'il ne faut pas faire entrer dans le moule proposé dans la famille ».

  Outre l'éducation, ce grand humaniste aborde dans de nombreux autres chapitres ses sujets de prédilection.
L'histoire de la vie en est un.
Savez-vous par exemple que l'homme possède cent milliards de neurones ? Que le bébé naissait prématurément car la grande dimension de son cerveau ne lui permettrait plus de passer par le bassin de sa mère si celui-ci continuait à se développer dans le ventre ? Voilà pourquoi nos enfants ont tant besoin de nous les premières années avant de gagner en autonomie.
Encore un chiffre vertigineux : les connexions entre les neurones du cerveau se font les quinze premières années au rythme de... Deux millions de synapses par seconde !!
Quant au développement du langage chez l'homme au cours de l'évolution, il est la conséquence d'une malformation naturelle qui affecte la position du larynx. Chez les primates, cet organe est situé haut derrière la gorge et leur permet de boire et respirer simultanément. L'homme ne possède pas cette capacité mais peut en échange, avec un larynx situé plus bas et qui continue de descendre jusqu'à la puberté, moduler de façon très fine les sons.

  Le chapitre sur le temps est passionnant.
Albert Jacquard rappelle les fondements de la théorie de la relativité qui explique que le temps est une notion arbitraire dont l'écoulement varie en fonction du référentiel où il est mesuré. Par exemple, le temps s'écoule moins vite pour celui qui voyage dans un train que pour celui qui reste sur le quai. La différence est évidemment imperceptible tant elle est minuscule.
À l'échelle d'une vie, le référentiel de temps peut trouver son origine à notre naissance.
Équivalent à un big-bang personnel, qui est capable de se souvenir de cet instant initial qui a vu se rencontrer les gamètes de nos parents ? L'éternité est-elle à espérer devant nous ou n'est-elle tout simplement pas derrière nous ? Ainsi, selon Jacquard, nous connaissons l'éternité : elle nous sépare de notre conception.

  Concernant notre société de l'image, le généticien se montre inquiet quant à son impact sur les jeunes.
Notre système nerveux central n'est pas adapté au déluge d'images quotidiennes qui nous envahissent. Toutes ces formes et ces couleurs qui sont d'ailleurs souvent loin d'être un complément indispensable à la compréhension du message agressent notre cerveau. Ainsi, l'image, écrit-il, « désarçonne notre capacité de réaction, fascine notre regard, envahit nos neurones et leurs connexions, et structure sans nous, ou même malgré nous, notre cerveau ».
Albert Jacquard reprend bien évidemment les propos choquants du PDG de TF1 qui indiquait clairement son objectif en 2004 : décerveler les téléspectateurs.

  L'essai rappelle que son combat quotidien l'a aussi engagé dans de nombreuses luttes sociales.
Le droit de propriété qui s'étale sur des générations est pour lui une aberration. Ainsi, sans produire de richesse, des héritiers bénéficient des efforts de leurs ascendants parfois lointains. La richesse entraînant la richesse par un processus d'accumulation, les inégalités ne peuvent qu'augmenter...
Des systèmes politiques ont pourtant mis en place des solutions : chez les juifs par exemple, tous les cinquante ans, les biens accumulés par héritage sont « remis en jeu ».

  Enfin, sa position contre la folie du nucléaire est à nouveau fermement martelée.
L'équilibre de la terreur auquel jouent les grandes puissances mondiales l'inquiète terriblement. Jacquard rappelle notamment l'épisode des drames vécus à Hiroshima et Nagasaki lorsque le président américain Truman a voulu écraser le Japon. Et tout cela au nom de Dieu qu'en tant que chrétien il remerciait le lendemain...


[Critique publiée le 16/12/10]

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V I C T O I R E   S U R   L ' E X C I S I O N   Hubert Prolongeau - 2006

Albin Michel - 233 pages
16/20   Enquête sur un sujet tabou

    Ce livre document brosse le combat de Pierre Foldes, médecin, qui « répare » les femmes excisées.
L'auteur dresse le tableau d'une situation terrible qui est encore malheureusement bien présente dans certains pays : aujourd'hui, quatre femmes par minute sont excisées, cent trente millions sont mutilées dans le monde, 97% des égyptiennes passent par cette douloureuse intervention. Tradition séculaire sur le continent africain, cette opération, parfois réalisée avec un tesson de bouteille dès le plus jeune âge, touche indifféremment les pays de religion musulmane ou chrétienne comme l'Ethiopie.
Hubert Prolongeau soulève également le débat du choc des cultures et pose le problème de l'ingérence : doit-on essayer de faire appliquer un universalisme des droits de l'homme ou doit-on respecter le particularisme des cultures régionales ?
Toujours est-il qu'outre cette question, le médecin humanitaire, lui, aide ces femmes en souffrance et leur ouvre une vie meilleure.

  Ce titre a obtenu le prix Essai France Télévisions 2006 remis par vingt-quatre jurés, dont Makibook, sous la présidence de Bernard Pivot.



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