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Chroniques d'une évasion littéraire

BD > Policier

B L A C K S A D   |   ÂME ROUGE (tome 3)   Juanjo Guarnido / Juan Díaz Canales - 2005

Dargaud - 56 pages
17/20   3 tomes et déjà une série culte !

    Cette troisième aventure du célèbre chat noir nous entraîne dans l'Amérique du maccarthisme, en pleine guerre froide.
John Blacksad s'ennuie à Las Vegas. Son boulot consiste à jouer les gardes du corps auprès d'une tortue, avide de jeux de casino, de femmes faciles et d'art contemporain.
C'est en assistant à une conférence sur l'énergie atomique qu'il reprend contact avec Otto Liebber, scientifique de renom qui avait, avec son père, œuvré pour une société plus juste dans les quartiers défavorisés où vivait Blaksad lorsqu'il était enfant.

  Liebber, un hibou, fait partie du groupe des « Douze apôtres » qui rassemble des intellectuels de gauche sous la protection du richissime communiste Gotfield.
Mais au sein même de ce cercle très fermé, le scientifique est directement menacé pour ses idées de l'époque du nazisme. Un crocodile chargé de l'éliminer se trompera sur l'identité de sa victime et assassinera la chouette Otero, un médecin proche des « Douze apôtres ». C'est Alma Mayer, la ravissante écrivain du groupe, qui demandera alors à John Blacksad d'enquêter sur ce meurtre et de protéger son ami Otto Liebber.
Dans ce climat ambiant, synonyme de tensions entre bloc communiste et chrétiens américains, le physicien, père de la bombe H, est au centre du rapport de forces dans l'équilibre des puissances. Outre sa propre conscience torturée par tant de responsabilités, il devra faire preuve de sang froid et bluffer les ardeurs belliqueuses du sénateur Gallo, principal instigateur de la chasse aux sorcières, qui fera tout pour rendre l'Amérique maître du monde grâce au secret de la bombe atomique.

  Tandis que l'étau se resserre, le rythme va s'accélérer crescendo avec la folie de Gotfield, la machination fomentée contre Blacksad et les tableaux mystérieux du peintre russe Serguei Litvak. Et chacun devra faire ses propres sacrifices pour sauver le monde...

  Ce troisième opus nous plonge dans les heures sombres de la guerre froide entre la fin des années 40 et le début des années 50.
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, russes et américains veulent se repartager le monde après avoir fait preuve de leur suprématie respective dans le conflit. Une longue période d'intimidation par conflits interposés et une course à l'armement nucléaire débutent alors, plongeant les populations dans un climat permanent de suspicions et de tensions géopolitiques.
Dans ce tome, le sénateur Gallo, représenté par un coq autoritaire faisant largement référence à McCarthy, combat avec ardeur les influences russes sur le sol américain en traquant les communistes. Il entretient et alimente ainsi ce que l'on a appelé la « Peur Rouge » ; des actes de discrimination à l'encontre des sympathisants du pouvoir soviétique.
Liebber, cible du maccarthisme, est un mélange entre Albert Einstein et Robert Oppenheimer. Ces deux scientifiques qui ont contribué à l'invention de l'arme nucléaire se sont élevés contre cette politique irrationnelle.

  Le thème du nucléaire est également abordé avec un mélange de fascination et de crainte pour son utilisation. Dans les années 50, les russes étaient invités à venir admirer les essais atomiques dans le désert à deux cents kilomètres de Las Vegas. Guarnido retranscrit parfaitement ce spectacle morbide dans les premières pages. Simultanément, la population craignait pour sa sécurité et se mettait à construire des abris anti-atomiques. Le dalmatien Gotfield est un exemple représentatif de cette ambivalence...
Enfin, ce riche scénario aborde en filigrane la traque des anciens nazis qui se poursuit encore de nos jours. Le monde commence à peine à réaliser l'ampleur du génocide qui vient de se dérouler dans les pays de l'est sous le régime hitlérien. Et le chimiste Laszlo veut venger l'honneur des juifs.

  Il faut rajouter à tout ceci une magnifique romance entre Blacksad et Alma Mayer. Une histoire d'amour fusionnelle, qui permet de souffler un peu entre les cases sombres et qui est dessinée avec tout le talent de Guarnido.
Ce dessinateur, il nous l'avait déjà prouvé dans les deux tomes précédents, est un génie. Sa maîtrise du trait et du détail permet de mettre en scène des animaux aussi vrais que des humains. Chaque animal est choisi avec précision pour coller avec l'image et le caractère que l'on imagine.
Les décors de New York sont également soignés et les couleurs à l'aquarelle hissent l'ensemble à un sommet rarement atteint en matière de bande dessinée. Blacksad est une série qui fait un véritable tabac et qui peut sans problème être considérée comme une œuvre littéraire à part entière auprès des travaux de Bilal ou Gibrat.
Le seul bémol dans cette troisième aventure du mystérieux chat est peut-être ce scénario un peu complexe, qui demande une certaine dose d'attention. Cela peut aussi être vu comme un atout mais le dénouement, rapidement concentré sur les deux dernières pages, rend quelque peu caducs les efforts fournis au fil de l'histoire pour aborder avec sérénité le mot de la fin.


[Critique publiée le 15/01/09]

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B L A C K S A D   |   L'ENFER, LE SILENCE (tome 4)   Juanjo Guarnido / Juan Díaz Canales - 2010

Dargaud - 56 pages
18/20   Polar dans l'univers du jazz

    Voici un quatrième tome qui nous entraîne à la Nouvelle-Orléans dans les années 50, terre mythique des clubs de jazz et de blues où ont sévi les plus grands musiciens comme Duke Ellington, Louis Armstrong ou Sidney Bechet.
Blacksad, grâce à son fidèle compagnon Weekly, est chargé de retrouver le pianiste Sebastian Fletcher pour le compte de son producteur. Faust Lachapelle, ce dernier, est atteint d'un cancer et s'inquiète de la disparition de son musicien fétiche, véritable star de son label, qui connaît une grave addiction à l'héroïne.
Enquêtant dans les bas-fonds de la plus grande ville de l'État de Louisiane, le célèbre chat noir partage son énergie entre interrogatoires musclés parmi les vapeurs d'alcool et de fumée et courses-poursuites dans la foule bigarrée du carnaval.
Le chemin sera évidemment parsemé de nombreuses embûches : assassinat du musicien Junior Harper, accrochage violent avec le vociférant détective Ted Leeman, influence ténébreuse de la prêtresse vaudoue Mme Gibraltar, manipulations en tout genre, ...
Blacksad, guidé par sa légendaire intuition féline, devra démêler une affaire coriace qui puise ses racines dans le triste passé des principaux protagonistes.

  Les albums de cette série sortent à un rythme très lent. Et celui-ci a battu les records avec cinq années d'attente !
Mais dans un paysage du 9ème art où la productivité est intense et souvent médiocre (couleurs numériques fades et artificielles, dessins de piètre qualité, scénarios improbables), cela n'est en aucun cas un handicap. Car chaque nouvelle histoire des espagnols Guarnido et Canalez a su témoigner jusqu'à présent d'un synopsis réfléchi, d'une ambiance générale judicieusement choisie, de dessins soigneusement léchées en couleur direct et d'un bestiaire sans cesse renouvelé.
Et L'Enfer, le silence ne déroge pas à la règle. L'univers du jazz est l'écrin parfait pour un polar dans l'Amérique d'après-guerre et l'histoire, très sombre malgré quelques rares pointes d'humour, s'en accommode parfaitement.
Quant au dessin de Guarnido, sa virtuosité est déjà plébiscitée par un très large public depuis des années. Les différentes tonalités de l'album qui oscillent entre celle de la lumière glauque d'un pub et celle d'un ciel de printemps bucolique laissent présager du plaisir que prend l'artiste à jouer avec l'eau et ses pinceaux.

  Comment alors ouvrir une bande dessinée colorisée avec un logiciel informatique après avoir parcouru des chefs-d'œuvre comme Blacksad, Muchacho, Mattéo, Kililana Song - pour ne citer qu'eux - où l'aquarelle éclate dans toute sa force faite de lumière et de transparence ?


[Critique publiée le 06/03/14]

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S O P H I A   |   PASSÉ TROUBLE (tome 1)   Adriano De Vincentiis / Massimo Visavi / Hernan Cabrera - 2004

Paquet - 56 pages
10/20   Un dessin mal servi par un scénario bien fade

    Sophia Delamore est une jeune femme belle, intelligente et immensément riche. Malheureusement, elle est orpheline suite à un drame familial qui continue de la hanter. Elle trouve du réconfort auprès de Gino, un pizzaïolo vénitien qui lui a permis de faire de hautes études. À la recherche de ses origines, un antiquaire la met sur les traces de son grand-père qui lui a légué un testament. Sophia va alors partir sur les traces d'une secte en Colombie, elle aussi intéressée par ce testament.

  Ce tome 1 est malheureusement quelque peu décevant. Cette amertume ne vient pas du dessin de De Vincentiis qui est maîtrisé. Sophia est admirable dans ses formes généreuses. Les cadrages sont souvent originaux et bien choisis. Non, le problème vient résolument du scénario et des couleurs. Visavi nous a pondu une histoire qui tient sur un papier de cigarette, digne de la série de l'été de TF1 : une femme riche et belle qui garde en elle la souffrance du passé et qui part à la recherche du secret renfermé dans le testament de son grand-père. Les dialogues manquent de densité, l'action n'est pas foisonnante au cours des cinquante-six pages de l'album. Tout cela est bien fade en regard du joli coup de patte du dessinateur.
Et puis, il y a des scènes tout de même incohérentes : comment notre héroïne peut-elle traverser la forêt colombienne avec des talons aiguilles ? C'est un détail certes, mais qui décrédibilise davantage la qualité du scénario.
Enfin, cerise sur le gâteau, un coloriste qui affadit le tout en posant des aplats de couleur numérique sur chacune des cases. Ça aurait été tellement plus chaud en couleurs directes !
Ah, on est loin des Lepage ou Gibrat...
La couverture est très belle mais c'est bien l'un des seuls attraits de cette BD qui m'aurait fait pâlir d'admiration si le dessin était resté en noir et blanc et si le scénario avait été plus pointu... Dans le même style, jetez-vous plutôt sur le travail du maître italien Serpieri.


[Critique publiée le 09/10/08]

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