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Chroniques d'une évasion littéraire

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T R A I T É   D ' A T H É O L O G I E   Michel Onfray - 2005

Grasset - 282 pages
17/20   Uppercut sur les trois monothéismes !

    Dès le titre, la couleur du propos est clairement indiquée. Michel Onfray veut à travers son ouvrage ériger le fait d'être athée au même niveau que les autres courants idéologiques, ceux religieux notamment. Il veut redonner un sens nouveau, une valeur ajoutée à ce qualificatif qui pourtant, par son « a » privatif, marque plutôt le manque, la tare de ceux qui le portent. Ainsi, les athées seraient des individus malheureux qui n'ont pas trouvé la foi dans une quelconque religion...
Plus profondément, le philosophe démonte les trois grands monothéismes que sont judaïsme, christianisme et islam, et milite avec vigueur pour une laïcité post-chrétienne.

  Par exemple, concernant la date originelle de la naissance du mythe, il est impossible de la trouver en remontant aux sources mêmes des textes sacrés du christianisme. Seule certitude : la Bible actuelle est le fruit de textes souvent remaniés, recopiés par les moines au fil des siècles avec de nombreuses déformations volontaires ou non et interprétations subjectives.
Au final, « on obtient un corpus considérable de textes contradictoires ». D'où, une facilité déconcertante pour tout justifier au nom de l'Église, le pire comme le meilleur !

  Michel Onfray dénonce également avec ironie les histoires à dormir debout sur lesquelles est fondée notre culture religieuse actuelle. Eve sortant de la côte d'Adam en est une illustration hallucinante !
Pour les autres livres saints, la Torah et le Coran, une lecture raisonnée du texte intégral révèle quantité d'invraisemblances et d'incohérences. Et Michel Onfray de questionner ainsi : « qui a lu, vraiment, in extenso, le livre de sa religion ? Lequel, l'ayant lu, a fait fonctionner sa raison, sa mémoire, son intelligence, son esprit critique sur le détail et l'ensemble de sa lecture ? » Car pour l'intellectuel normand, la religion est l'inverse même de la philosophie : « La construction de leur religion, la connaissance des débats et controverses, les invitations à réfléchir, analyser, critiquer, les confrontations d'informations contradictoires, les débats polémiques brillent par leur absence dans la communauté où triomphent plutôt le psittacisme et le recyclage des fables à l'aide d'une mécanique bien huilée qui répète mais n'innove pas, qui sollicite la mémoire et non l'intelligence. Psalmodier, réciter, répéter n'est pas penser. Prier non plus. Loin de là. »

  Le livre, toujours solidement argumenté, montre la nature commune aux trois religions monothéistes : la valorisation de l'au-delà doublée d'une haine de la vie. Être croyant, c'est vivre non pas au présent mais en permanence dans l'expectative de gagner sa place au paradis. La vie ici-bas est donc inintéressante et l'hédonisme cher à l'auteur en devient un vice terrible.
De même, le corps est sans cesse combattu, surtout celui de la femme en dehors de son rôle de mère ou d'épouse : « l'épouse et la mère tuent la femme, ce sur quoi comptent les rabbins, les prêtres et les imams pour la tranquillité du mâle. » La chair, le sang et la libido des femmes sont des symboles d'impureté et l'Ange, être asexué et « anticorps archétypal », est l'être idéal pour les instances religieuses. L'Islam, en particulier, nie la femme qui doit donc cacher son corps mais « se soumettre à tous les désirs sexuels de son mari - qui laboure sa femme à volonté, comme sa terre ! ».

  Michel Onfray construit également son argumentaire en s'appuyant beaucoup sur les grands événements tragiques de l'histoire.
Les chapitres intitulés « Hitler aime le Vatican » et « Le Vatican aime Adolf Hitler » sont on ne peut plus clairs quant aux liens étroits qui unissaient l'Église catholique et le nazisme. Les deux courants étaient implicitement unis autour d'ennemis communs, les juifs et communistes, « assimilés la plupart du temps dans le fourre-tout conceptuel du judéo-bolchevisme ».
Et que dire des nombreuses destructions de civilisations commises par l'Église catholique ? 1492 reste la date clé, celle qui symbolise la découverte du Nouveau Monde, mais celle aussi qui signe la mort annoncée des civilisations indo-américaines : « des repris de justice, des malfrats, des hommes de main, des mercenaires » débarquaient des caravelles pour piller, détruire, violer, brûler des peuplades primitives. Ils étaient suivis par les prêtres venus « prêcher l'amour du prochain, le pardon des péchés, la douceur des vertus évangéliques et autres joyeusetés bibliques ». Quel peuple était le plus sauvage ? Ceux que l'on appelait « sauvages » justement ou les chrétiens qui ont également fait généreusement don d'une maladie nommée syphilis ?
N'oublions pas non plus Galilée qui, en 1633, a été obligé d'abjurer la théorie de Copernic qu'il avait pourtant étayée grâce à ses observations montrant que notre système planétaire était héliocentrique et non géocentrique. Il faudra attendre 1992 pour que l'Église catholique reconnaisse sa faute !
Enfin, un autre grand scandale bien plus récent est celui du Rwanda, pays très chrétien. En 1994, un million de Tutsis ont été massacrés par les Hutus en trois mois. Les génocidaires ont été « soutenu, défendu, couvert par l'institution catholique sur place et par le souverain pontife lui-même ».

  Concluons par cet extrait qui rappelle au bon sens : « Si l'existence de Dieu, indépendamment de sa forme juive, chrétienne ou musulmane, prémunissait un tant soit peu de la haine, du mensonge, du viol, du pillage, de l'immoralité, de la concussion, du parjure, de la violence, du mépris, de la méchanceté, du crime, de la corruption, de la rouerie, du faux témoignage, de la dépravation, de la pédophilie, de l'infanticide, de la crapulerie, de la perversion, on aurait vu non pas les athées - puisqu'ils sont intrinsèquement vicieux... -, mais les rabbins, les prêtres, les papes, les évêques, les pasteurs, les imams, et avec eux leurs fidèles, tous leurs fidèles - et ça fait du monde... - pratiquer le bien, exceller dans la vertu, montrer l'exemple et prouver aux pervers sans Dieu que la moralité se trouve de leur côté : qu'ils respectent scrupuleusement le décalogue et obéissent à l'invite de sourates choisies, donc ne mentent ni ne pillent, ne volent ni ne violent, ne font de faux témoignage ni ne tuent - encore moins ne fomentent des attentats terroristes à Manhattan, des expéditions punitives dans la bande de Gaza ou ne couvrent les agissements de leurs prêtres pédophiles. On verrait dès lors les fidèles convertir autour d'eux par leurs comportements radieux, exemplaires ! Au lieu de cela... Qu'on cesse donc d'associer le mal sur la planète et l'athéisme ! L'existence de Dieu, me semble-t-il, a bien plus généré en son nom de batailles, de massacres, de conflits et de guerres dans l'histoire que de paix, de sérénité, d'amour du prochain, de pardon des péchés ou de tolérance. »

  Le traité d'athéologie a connu un énorme succès à sa parution et jeté un pavé dans la mare des trois grandes religions solidement ancrées dans la culture mondiale. À ce jour, judaïsme, islam et christianisme constituent les fondements de nos sociétés. Les attentats du 11 septembre 2001, entre autres, ont montré que l'interprétation du Coran pouvait revêtir des formes diamétralement opposées. Le traité de Michel Onfray est donc intéressant à parcourir car il offre une lecture critique de notre héritage culturel religieux ; il rend par ailleurs ses lettres de noblesse au courant athéiste qui se veut une réponse moderne à une ère chrétienne devenue obsolète et en contradiction avec elle-même.
L'essai est certes un peu difficile à appréhender dans les premières pages, mais, une fois l'enjeu du projet athéiste compris, les arguments pertinents fusent de toute part rendant le rythme de lecture plutôt agréable.
Sauf erreur de ma part, je n'ai par contre pas relevé le rôle positif qu'a joué l'Église catholique dans le renversement de la dictature des Somoza à la fin des années 70 au Nicaragua. En effet, dès le début de la révolution sandiniste, une grande partie du pouvoir religieux a soutenu le peuple dans sa lutte contre le pouvoir en place. La bande dessinée Muchacho, un chef-d'œuvre pictural par Emmanuel Lepage, retrace d'ailleurs ce combat qui a permis en 1979 aux nicaraguayens de mettre Daniel Ortega à la tête de l'État. Malheureusement, au début des années 80, l'Église catholique changera de position et deviendra la principale force d'opposition au mouvement sandiniste...

  Qui est Michel Onfray ? Né en 1959 dans l'Orne, ce docteur en philosophie a, à ce jour, publié une cinquantaine d'ouvrages. Ses principaux sujets de prédilection tournent autour de la philosophie, la religion, le bonheur, le corps, ...
En 2002, le philosophe normand a lancé une université populaire à Caen. Suite au résultat impressionnant du Front National au premier tour des élections présidentielles de cette même année, Onfray a voulu offrir une éducation gratuite aux personnes souhaitant élargir leur esprit critique et plus largement enseigner la philosophie et l'histoire en s'appuyant directement sur les écrits des grands penseurs. Précisons enfin que la ville de Caen a été choisie avec l'objectif de décentraliser la vie culturelle et prouver qu'en province peuvent se tenir des manifestations aussi inédites et importantes que dans la capitale.
Régulièrement présent dans les médias, Onfray fait partie des intellectuels français en vogue et ses cours et conférences passionnent les foules dans tout le pays et au-delà.


[Critique publiée le 15/02/13]

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