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Chroniques d'une évasion littéraire

Essais > Linguistique

L E S   B R E T O N N I S M E S   Hervé Lossec - 2010

Skol Vreizh - 102 pages
19/20   Breton et fier de l'être

    Best-seller, c'est l'anglicisme que je me permets d'utiliser pour qualifier cet ouvrage dont la vente, à ce jour, est phénoménale. Déjà 150 000 exemplaires !

  Né en 1947 à Lesneven, Hervé Lossec est léonard et bretonnant de langue maternelle.
À partir des années 40, une transition brutale s'est effectuée dans la vie sociale bretonne avec le rejet massif du breton par la République française qui ne voulait promouvoir qu'une seule langue : le français. À l'école et l'Église, deux lieux fondamentaux à l'époque, la langue régionale est devenue interdite. Dans le milieu rural, cependant, la mutation linguistique a pris plus de temps et l'auteur a ainsi parlé exclusivement breton jusqu'à ses cinq ans.
Ce n'est que bien plus tard, en étudiant à nouveau sa langue maternelle, que l'écrivain a décelé les liens profonds qui l'unissaient avec le français. « Quand vous vous intéressez aux bretonnismes, vous vous exposez au risque d'en voir partout et ce très rapidement » annonce-t-il. Les bretonnants, bien sûr, intercalent une quantité phénoménale de mots bretons dans leur usage du français ; mais, plus étonnant encore, beaucoup de nos compatriotes qui ne connaissent aucun mot de breton utilisent des tournures ou formules pourtant issues de cette langue !
Ceux qui vivent ou ont vécu en Basse-Bretagne (à l'ouest de la frontière linguistique Saint-Brieuc/Vannes) apprendront énormément à travers ce petit précis.

  Pour ma part, les quelques mots ci-dessous que j'entends depuis mon plus jeune âge ont enfin trouvé une orthographe et une signification académiques.
« A-dreuz » = A l'envers.
« Distribilh » = En désordre, inachevé.
« Forzh penaos » = N'importe comment.
« Louzoù » = Médicament.
« Lichouz » = Gourmand (qui aime les « lichouseries »).
« Faire du reuz » = Faire du bruit, du buzz (comme c'est la mode !).
« Cuche » = Queue de cheval.
« Droche » = Ecervelé, ridicule.
« Grignous » = Pleurnichard.
« Restachoù » = Restes (dans un plat).
« Startijenn » = Entrain, tonus.
« Strouilhon » = Sale, désordonné.
« Tagnous » = Grincheux, teigneux.
« Justik » = Tout juste.
« Moutik » = Mignon.
« Drolik » = Bizarre.
« Pikez » = Chipie, coquine.
« Riboul » = Passage étroit.
« Bloñser » = Meurtrir (un fruit « bloñsé »).
« Lonker » = Avaler comme un glouton.
« Spontus » = Epouvantable, formidable (suivant le contexte).
« Euc'h ! » = Beurk ! Pouah !
« Ma ! » = Ca alors ! C'est pas vrai ! (exprime l'étonnement).
« Mar plij ! » = S'il vous plaît ! (dans le sens de « chapeau ! »).
« Tos-tos » = Auto-tamponneuses (origine germanique à la base, puis passage par le breton avant d'être francisé avec le verbe « tosser » utilisé dans le milieu maritime lorsqu'un bateau cogne le quai par exemple).
« Attraper son pegement » = Se faire remettre en place.
« Partir en pilhoù » = Partir en chiffons, en loques.
« Etre dans le lagenn » = Etre dans le bourbier, les choses n'avancent pas.
« Avoir des pikouz dans les yeux = Avoir des crottes dans le coin des yeux.

  Quelques exemples d'expressions qui sont typiquement issues du breton :
« Attention de tomber » = Attention à ne pas tomber.
« Casser la soif » = Assouvir la soif.
« Nous voilà propres » = Nous voilà dans de beaux draps.
« Ruser ses pieds » = Traîner ses pieds sur le sol.
« C'est pas tout » = Bon, je retourne à mes affaires (employé pour mettre fin à une conversation).
« Faire de l'essence » = S'approvisionner en essence.

  Pour conclure, citons les chiffres éloquents fournis par l'auteur et eux-mêmes issus d'une étude de l'Unesco sur le bilinguisme :
« 72% de la population mondiale utilisent deux langues dans la vie quotidienne.
68 millions d'Européens utilisent tous les jours une autre langue que la langue officielle de leur propre État.
Seuls deux pays européens ne reconnaissent pas les langues dites "minoritaires" : la Grèce et la France.
»

  L'auteur termine par une liste de verbes, de prépositions, de façons de conjuguer qui sont parfaitement compréhensibles en Bretagne mais non conformes à la langue de Molière.
Enfin, saluons la simplicité et la pédagogie de Hervé Lossec dans ce petit livre coloré et agréable à lire. Et comme il le dit fièrement : « N'hésitons donc pas à colorer de bretonnismes notre parler courant pour affirmer notre identité à l'époque de la mondialisation galopante. Employer des bretonnismes [...] n'est pas du tout incompatible avec la maîtrise du français académique. »


[Critique publiée le 09/07/11]

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1 0 0   E X P R E S S I O N S   À   S A U V E R   Bernard Pivot - 2008

Albin Michel - 146 pages
17/20   En route, mauvaise troupe !

    Sans prétention aucune, Bernard Pivot nous livre ici un petit précis sur une poignée d'expressions françaises à sauver.
Chantre de la critique littéraire et membre de l'Académie Goncourt, ce pétillant journaliste a toujours eu à cœur de démontrer la richesse de notre langue et de faire l'apologie de son usage.
Pour autant, précisons que cet excellent chroniqueur, que j'ai eu la chance d'avoir pour président de jury en 2006, ne cultive pas sans cesse une vision passéiste du français et, au contraire, prend du goût à en suivre les nouveaux modes d'utilisation ; son compte très actif sur la plate-forme de micro-blogging Twitter en est notamment la preuve quotidienne.
Il recense ici des expressions peu usitées aujourd'hui mais qui, pour certaines, rappellent des souvenirs ou situations propres à chacun.
Avec toujours beaucoup d'humour et de malice, l'auteur s'amuse à en saisir l'origine, à illustrer son propos par tel ou tel extrait littéraire et, enfin, à préciser les variantes possibles. Le lecteur est invité à surprendre ses futurs auditeurs en employant justement quelques-unes des expressions listées. Cela ne peut qu'enrichir considérablement l'expression orale ou bien écrite.

  Quelques exemples :
« Fagoté comme l'as de pique » : mal habillé.
« Tailler une bavette » : bavarder.
« Face de carême » : mine sombre, maigre et austère.
« S'en tamponner le coquillard » : marquer de l'indifférence pour quelque chose.
« Laisser pisser le mérinos » : laisser courir.
Ou encore : « Sentir le fagot, avoir les grelots, avoir un bœuf sur la langue, maigre comme un coup de trique, et patati et patata ! »


[Critique publiée le 15/02/13]

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L ' A C C E N T   U N E   L A N G U E   F A N T Ô M E   Alain Fleischer - 2005

Seuil - 170 pages
14/20   Réflexions accessibles sur un sujet pointu

    « L'accent est peut-être exactement le lieu de la tolérance. »
Alain Fleischer nous invite à nous interroger sur le pouvoir de l'accent, ses modes d'apparition, sa nature infinie. Autour des concepts de langue première et langue seconde, il ouvre une problématique à un concept plutôt complexe. Son enfance dans un milieu riche en diverses langues étrangères l'a fortement sensibilisé à cette question.
Il nous explique le côté chewing-gum de l'anglais qui supplante l'idée reçue selon laquelle son universalité dépendrait uniquement de la puissance économique des États-Unis.
Une étude précise de l'accent dans le cinéma (impact des vo, vf, doublages) vient clore le livre. On découvre entre autres que le doublage en français des péripéties de Laurel & Hardy a apporté un enrichissement sur le plan comique.




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