Makibook
Chroniques d'une évasion littéraire
Romans > Policier
L ' Î L E D E S Â M E S
Piergiorgio Pulixi - 2019
(traduit de l'italien par Anatole Pons-Reumaux)
Gallmeister - 556 pages
18/20
Meurtres rituels en Sardaigne
En Sardaigne, l'inspecteur en chef Moreno Barrali s'interroge sur la disparition mystérieuse d'une jeune femme prénommée Dolores Murgia. Il craint le pire pour elle car il ne peut s'empêcher de faire un rapprochement funeste avec deux affaires non élucidées qui l'obsèdent depuis des décennies : en 1975 et en 1986, le jour des morts - « sa die de sos mortos » en langue sarde -, deux jeunes femmes ont été assasinées selon un même rituel dans l'arrière-pays sarde.
L'homme pressent une issue fatale à la nouvelle disparition qui mobilise de nombreux enquêteurs.
Il contacte l'inspectrice Mara Rais, rétrogradée aux affaires classées de la police de Cagliari, pour lui faire part de sa volonté de voir ses enquêtes perdurer malgré les années qui les effacent des mémoires. L'homme est en effet tombé gravement malade et ne pourra pas élucider ces homicides que sa femme pense être la cause de son cancer.
Accompagnée d'Eva Croce, sa nouvelle coéquipière spécialisée dans les sectes et les meurtres rituels, Mara Rais va commencer à investiguer sur l'ensemble des « cold cases » de Sardaigne et inévitablement être entraînée, par l'effervescence autour de la disparition de la jeune Dolores Murgia et l'obsession de Barrali, dans l'étude de ces deux meurtres rituels dont les victimes n'ont jamais été identifiées et qui, à chaque fois, ont eu lieu sur des sites paléosardes nommés « nuraghes ».
Parallèlement est relatée l'histoire de la famille Ladu vivant dans l'arrière-pays de l'île italienne et dont les liens de consanguinité reliant les membres témoignent d'un très fort repli social et culturel.
Ces deux histoires, la principale étant l'enquête policière menée depuis Cagliari, vont amener petit à petit le lecteur à comprendre les secrets qui entourent les meurtres rituels de 1975 et 1986 ainsi que la disparition de Dolores Murgia. Dès les premières pages, le rythme est lancé et prenant. Des chapitres très courts cultivent l'addiction du lecteur jusqu'aux dernières révélations inattendues.
La relation souvent explosive entre les deux policières Mara Rais et Eva Croce apportent régulièrement des notes d'humour à travers des dialogues parfois savoureux.
Enfin, notons l'excellente qualité littéraire de la traduction en français assurée par Anatole Pons-Reumaux qui rehausse l'histoire à travers un texte très élégant dont voici un court exemple : « Bastianu observa les vallées immaculées qui s'étendaient à perte de vue et s'éveillaient sous les caresses de la lumière albescente. »
[Critique publiée le 10/03/23]
L E D I A B L E , T O U T L E T E M P S
Donald Ray Pollock - 2011
Le Livre de Poche - 403 pages
17/20
Une Amérique de dingues !
Cette terrible histoire se déroule entre 1945 et 1965 dans l'Amérique des déshérités, en Ohio tout particulièrement.
Willard Russel, traumatisé par la guerre du Vietnam, fait la connaissance de Charlotte dans un bar lors de son retour au pays. Rapidement, ils nourrissent le rêve de fonder une famille et donnent naissance à Arvin. Le malheur s'abat sur eux au bout de quelques années car Charlotte tombe gravement malade. Très croyant, Willard entraîne son fils pour prier dans les bois alentour et y sacrifier des animaux en demandant la guérison de sa femme. Charlotte succombe ; Willard se tranche la gorge pour la rejoindre.
Voilà pour le décor de ce roman d'une noirceur extrême. Arvin, qui n'a pas encore dix ans, va devoir se construire en affrontant les démons qui l'ont déjà emporté loin de la vie paisible que peut espérer un enfant.
Arvin est alors élevé par sa grand-mère Emma et son oncle Earskell. Il se lie d'amitié avec Lenora, également recueillie par le couple, qu'il considère comme sa sur.
Lenora est une orpheline, fruit d'une relation sulfureuse entre Frère Roy et Helen. L'homme a fini par tuer sa femme à coup de tournevis car il croyait détenir le pouvoir de faire ressusciter les morts... Après ce meurtre, il s'est enfuit sans se préoccuper de la jeune enfant.
Frère Roy est toujours accompagné de son acolyte Frère Theodore. Tous deux sont des prédicateurs totalement allumés qui prétendent répandre la parole de l'Évangile dans les petites églises paroissiales du pays. Roy est un comédien qui sait haranguer les foules avec conviction tout en reluquant les femmes qui pourraient assouvir ses besoins tandis que Theodore est un musicien en fauteuil roulant.
Comme si un malheur ne suffisait pas, Lenora, murée dans le silence et la prière depuis la mort de sa mère et la disparition de son père, connaîtra encore la souffrance avec le pasteur Teagardin, une autre belle ordure dans ce pays de dingues...
Il y a aussi Carl et Sandy. Le couple sillonne les routes du pays à la recherche d'auto-stoppeurs. Carl se dit photographe ; mais son « uvre », morbide, nécessite le meurtre de chaque jeune homme embarqué dans sa voiture. Avec Sandy, il mêle la mort et le sexe dans un délire totalement pervers et très violent.
Tous ces personnages vont graviter autour du jeune Arvin. Ici, chacun fait sa loi et les autorités semblent impuissantes face aux meurtres, viols et autres injustices qui sévissent.
Pollock dresse un portrait très noir de l'Amérique d'après-guerre. Ses personnages agissent sans état d'âme et possèdent des caractères bien trempés. La religion est très présente et n'apporte aucun réconfort aux personnes en souffrance. Au contraire, les hommes d'église sont des pourris et des vicieux.
L'univers décrit est très machiste, les femmes sont totalement soumises aux hommes. Même Sandy, seul individu de sexe féminin situé dans le camp des bourreaux, semble être totalement prisonnière de Carl et son délire.
Inutile de préciser que les armes sont omniprésentes et permettent à chacun de régler ses comptes à sa manière. Ce mode de vie est toujours d'actualité soixante-dix ans plus tard et n'est pas prêt de changer...
Le diable, tout le temps m'a rappelé deux autres livres.
Le premier est 1275 âmes de Jim Thompson qui brosse également le quotidien malsain d'une poignée d'individus agissant en tout impunité dans l'Amérique des années 60.
Le second se passe aussi à cette époque durant laquelle les hippies voulaient créer un monde nouveau sur les côtes de Californie. Dans l'excellent Avenue des géants, Marc Dugain raconte la vie tourmentée d'un homme qui commence par tuer ses grands-parents, se rachète puis termine en aidant la police à élucider les meurtres qu'il a lui-même commis.
Donald Ray Pollock a longtemps travaillé dans une usine de pâte à papier dans le sud de l'Ohio. À cinquante ans, il suit des cours en atelier d'écriture. Son premier roman, Le diable, tout le temps, est publié en 2011 et connaît un gros succès. Il est notamment louangé par François Busnel en France et élu meilleur livre de l'année 2012 par le magazine Lire.
[Critique publiée le 19/04/19]
V A L S E B A R B A R E
Daniel Cario - 2014
Palémon éditions - 219 pages
12/20
Un amnésique découvre son terrible passé
Toussaint Galoan est patron pêcheur à bord d'un chalutier, la Marie-Roxane, dans le petit port breton de Loguiven. Il coule des jours heureux avec la belle Anne-Rose.
Son histoire est extraordinaire puisque ce marin refait sa vie suite à un naufrage sur une petite île perdue. En effet, après plusieurs années d'isolement sur un caillou appelé Galoan, il a été retrouvé à la Toussaint et ramené sur le littoral breton. Amnésique, il n'a plus aucun souvenir de sa vie précédant le naufrage. Ne connaissant plus sa réelle identité, il a été baptisé Toussaint Galoan en raison des circonstances de sa « renaissance » dans la société.
Rapidement, le récit prend une tournure sombre. Le cadre de vie idyllique de Toussaint vire au cauchemar lorsqu'il devient traqué par une mystérieuse inconnue qui compte bien le tuer...
Convaincu que cette poursuite morbide est liée à son passé, il se met à chercher le moindre indice lui permettant de comprendre son histoire. Petit à petit, il remonte ainsi le fil du temps et découvre qu'avant son naufrage, il s'appelait Tommy McGrawen et vivait sur une île située au large de l'Islande.
Tommy n'avait rien du gentil Toussaint et c'est avec effroi que l'homme découvre sa véritable nature...
Daniel Cario, originaire du Morbihan, est un auteur qui a écrit dans différents domaines littéraires : ouvrages autour de la culture bretonne, romans pour adolescents, policiers.
Ici, il nous livre un polar reprenant un procédé littéraire souvent utilisé : un héros amnésique ou schizophrénique qui renoue avec sa réelle identité. C'est le cas du personnage principal de la bande dessinée XIII par exemple ou encore du policier de l'excellent roman Shutter island de Dennis Lehane ou du héros du plus pâlot Puzzle de Franck Thilliez.
Valse barbare constitue un titre correct pour une lecture d'été. Il ne porte aucune grande ambition et ne renouvelle pas le genre.
Le lecteur se laisse volontiers emporter par cette histoire qui souffre tout de même de quelques maladresses dans son équilibre et reste un peu tordue et avare d'explications crédibles quant à l'incroyable survie sur une île déserte et l'improbable réadaptation au monde moderne du personnage principal.
La fin du roman est heureusement captivante, et malgré ces quelques défauts, le lecteur ne peut lâcher le livre tant qu'il n'a pas découvert les derniers rebondissements terrifiants qui accablent Toussaint Galoan.
[Critique publiée le 27/10/15]
B L E U D E C H A U F F E
Nan Aurousseau - 2005
France Loisirs - 152 pages
12/20
Les dessous du monde ouvrier
Ce petit livre nous décrit un environnement peu commun en littérature : celui de la plomberie !
Le cadre peut paraître aride et rebutant au premier abord mais il devient le parfait écrin d'un polar social non dénué d'humour noir.
Dan (pour Daniel) travaille chez CCRAMPS (Chauffage Couverture Rénovation Anciennement Maurice Paquez Sanitaire) et nous raconte son parcours depuis le premier jour au cours duquel il s'est fait agressé et volé son portable jusqu'à aujourd'hui.
L'auteur nous fait alors découvrir le monde ouvrier avec ses magouilles quotidiennes : vol de matériel sur les chantiers, corruption, cohabitation entre travailleurs de différentes nationalités, pression des chefs, libéralisme à outrance, etc.
Dan, devenu honnête et sérieux après avoir purgé une petite peine en prison, doit faire face à un chef qu'il décrit comme « une sale ordure pourrie à l'intérieur mais nickel à l'extérieur ». Dolto, c'est son nom, est le commercial classique qui embobine ses clients comme ses employés et qui n'a aucune mauvaise conscience à commettre des actes crapuleux. Dujardin, le directeur technique de l'entreprise, est la première victime du tyran qui lui a extorqué cent vingt patates. Désormais, il n'a qu'une idée en tête : se venger. Pour cela, il passe son temps à chercher Dolto au volant de sa voiture dans le coffre de laquelle il a planqué une Winchester. Dan, également au bord de la dépression et de la folie, poursuivra les deux compères jusqu'en Normandie.
Si vous voulez tout savoir des cintreuses à galets et des clefs à cliquet, procurez-vous ce roman pimenté qui décrit sur un ton acerbe et dans un style nerveux les conditions de travail d'un plombier en région parisienne.
Cependant, ce récit qui possède un bon rythme général laisse une pointe de déception dans les dix dernières pages. Le dénouement est amené très rapidement et manque de détails. Ainsi, que vient faire la mère de Dolto dans ce règlement de compte ? Que devient Dan à la dernière page ? De gros points d'interrogation qui sont durs à avaler pour le lecteur attendant une fin claire et lisible, à l'image du reste du texte.
De nombreuses anecdotes en grande partie autobiographiques qui dénoncent le rythme haletant du travail ouvrier mais qui se terminent en queue de poisson au grand dam du lecteur...
[Critique publiée le 04/11/09]
L E S D E U X V I S A G E S D E J A N V I E R
Patricia Highsmith - 1964
Le Livre de Poche - 314 pages
13/20
Un rythme inégal
Chester Mc Farland, quarante-deux ans, est en vacances à Athènes avec sa femme Colette qui est âgée, elle, de vingt-cinq ans.
Citoyen américain et se cachant sous plusieurs identités, Chester a rejoint l'Europe afin de s'éloigner pendant un petit moment de l'Amérique où il craint la justice.
Son activité professionnelle est en effet crapuleuse : elle consiste à promettre à de futures victimes des profits juteux lors de placements boursiers sur des sites d'extraction de minerai inexistants.
Repéré par un agent grec dans son hôtel, le bandit perd ses moyens et commet l'irréparable en le tuant involontairement.
Surgi à ce moment précis Rydal Keener, un autre américain de passage en Grèce, qui aide Chester à cacher le corps de l'agent de police.
Les deux hommes deviennent alors liés par les circonstances de ce meurtre. Cette relation est d'autant plus complexe que Rydal tombe amoureux de Colette.
Une liaison triangulaire naît ainsi : Rydal, maître du jeu, s'amuse avec la femme de Chester ; ce dernier, coupable de meurtre, peut difficilement protester sous peine d'être dénoncé...
La nervosité de l'escroc va être poussée jusqu'à son paroxysme et conduira à une nouvelle catastrophe au cur même du Palais de Cnossos en Crète.
Patricia Highsmith nous conte ici une course-poursuite entre deux américains dans les fabuleux décors de la Grèce ancienne. Ce jeu du chat et de la souris nous présente des personnages principaux appartenant à la classe aisée et possédant cette grâce surannée typique des acteurs hitchcockiens. Cependant, l'histoire comporte quelques passages un peu longuets et manque de rythme dans la deuxième partie. L'unité du récit reste donc au-dessous de celle présente dans d'autres uvres de l'écrivain telles que les Ripley par exemple.
[Critique publiée le 04/11/09]
1 2 7 5 Â M E S
Jim Thompson - 1964
Gallimard - 260 pages
16/20
Un cinglé qui règle ses comptes
Nick Corey est le shérif du canton de Pottsville. On imagine volontiers un bled perdu au fond de l'Amérique profonde des années 60. Ce genre de lieu où la loi est arbitraire et les règles bafouées.
Nick en est d'ailleurs un modèle au cours de ce roman. Il va décider d'instaurer sa propre loi dans son entourage en magouillant, trucidant, manipulant et éliminant les individus qui font le triste quotidien de sa vie. C'est un anti-héros, une pourriture de première qui s'est faite manipuler lors de son mariage avec Myra, qui passe tout son temps avec sa maîtresse Rose et qui rêve de se marier avec Amy, la seule femme qu'il désire vraiment...
Tout ce microcosme tourne autour de lui dans un joyeux bordel et Nick se laisse vivre sans provoquer les choses, dans le plus pur esprit conservateur. Pendant toute sa vie, il aura été peureux, fuyant toutes les responsabilités de son grade. Pour assurer sa ré-élection et aligner les mandats de shérif, il aura préféré ne pas agir ni contre ni pour une cause afin de ne soulever aucune contestation autour de lui. Bref, personne ne voudrait d'un tel shérif qui ne pense qu'à baiser, roupiller (ce qu'il fait quand il s'installe à son bureau) et bouffer.
Peut-être l'ennui, la routine, l'impression de côtoyer le néant du quotidien sont-ils les moteurs de sa crise de conscience ? Alors il s'enfonce dans cet esprit abject et va encore plus loin dans le mépris de la personne humaine.
Jim Thompson est un écrivain pessimiste. Il propose une vision décadente de la vie des hommes sans doute à cause de sa propre existence qui a connu des périodes difficiles entre cures de désintoxication et relations complexes avec son père. Il a connu le succès dans les années 50 et demeure aujourd'hui l'un des plus grands écrivains américains du XXe siècle.
Cette histoire est une plongée dans le néant, le vide du quotidien, l'ennui. Dans quel état d'esprit l'auteur a-t-il bien pu concevoir ce théâtre de l'absurde, cette galerie de personnages dignes de Samuel Beckett ? Le processus d'écriture a-t-il été une échappatoire, une façon d'exorciser la dure réalité de la vie ? Il est très probable que oui.
Il faut également souligner le style de l'écriture qui épouse parfaitement le fond du propos. À l'existence pourrie des personnages de Pottsville répondent les dialogues savoureux et croustillants qui baignent dans la vulgarité et la médiocrité entre insultes et brimades verbales permanentes.
Lire 1275 âmes c'est finalement un peu comme avaler un triple cheeseburger bien gras et dégoulinant : c'est dégueulasse mais ça fait tellement de bien une fois de temps en temps !
Extrait : « Ce matin vers dix heures, pendant que j'expédie un deuxième petit déjeuner, vu que j'ai pas mangé grand-chose en me levant, à part trois ou quatre ufs, des crêpes et des saucisses, Rose Hauck me téléphone. [...]
J'en suis à ma troisième tasse de café quand Myra revient. Elle commence à ramasser la vaisselle en marmonnant toute seule, alors je lui demande s'il y a quelque chose qui la tracasse.
- Si c'est ça, hésite pas à le dire, vu que deux cervelles valent toujours mieux qu'une seule.
- Espèce de pauvre... ! Tu vas filer, oui ou non ? Qu'est-ce qui te prend de rester à table ?
- Mais je suis en train de boire mon café. Si tu te donnes la peine de regarder d'un peu près, tu verras que c'est la pure vérité.
- Eh bien, emporte ta tasse et va le boire ailleurs !
- Comment, tu veux que je sorte de table ?
- Oui ! Et dépêche-toi de débarrasser le plancher ! Je suis accommodant et je demande pas mieux que de l'obliger, je lui réponds, mais à bien regarder, ça n'aurait guère de sens que je sorte de table.
- Vu qu'il est quasiment l'heure de manger. Tu vas apporter la soupe d'ici deux ou trois minutes, alors pourquoi je me lèverais de table, si c'est pour me rasseoir tout de suite après ?
- Ouhhh ! Elle fait. Veux-tu déguerpir !
- Sans manger ? Tu veux que je travaille tout l'après-midi avec le ventre vide ?
- Mais tu viens juste... Elle s'étrangle et se laisse tomber sur une chaise. »
[Critique publiée le 09/10/08]
S H U T T E R I S L A N D
Dennis Lehane - 2003
Payot & Rivages - 393 pages
18/20
Attention chef-d'uvre
La couverture glauque, le résumé au dos de l'ouvrage donnent déjà les prémices d'une histoire dense à l'ambiance claustrophobe.
Cela se passe dans les années 50, en pleine guerre froide, sur une île au large de Boston : Shutter island. Cette île cache un hôpital psychiatrique où sont détenus de très dangereux criminels répartis en trois pavillons, celui des hommes, celui des femmes et le dernier, celui de haute sécurité pour les cas extrêmes. Bien qu'inexplicable, une femme, Rachel Solando, a disparu de sa chambre pourtant fermée à clé de l'extérieur. Seule indice : un code indéchiffrable inscrit sur une feuille de papier. Le personnel de l'établissement a évidemment parcouru l'île jusque dans ses moindres recoins mais la fugitive reste introuvable. Et c'est là que rentre en scène notre héros, le marshal Teddy Daniels, qui sera chargé de résoudre cette énigme digne d'une intrigue à la Agatha Christie. Pour accomplir cette difficile tâche, il sera épaulé par son coéquipier Chuck Aule. Petit à petit, le lecteur va s'enfoncer dans une ambiance paranoïaque entretenue par des individus pour le moins mystérieux, du patient fou à lier jusqu'au médecin digne d'un docteur Moreau de H.G. Wells.
Ce qui caractérise la majeure partie de ce roman, c'est cette ambiance angoissante, poisseuse qui vous colle à la peau telle une sueur paralysante dans un pays tropical. Le lecteur est happé dans un monde clos où les repères volent en éclats tant la folie et l'expérience médicale semblent être le quotidien des insulaires. On se raccroche donc à la logique de Teddy, notre policier, qui va tenter de démêler cette étrange disparition dans un univers carcéral de plus en plus opaque et lourd à supporter.
Et puis... Le choc.
Une fin extrêmement surprenante, à couper le souffle. Tout est à reconsidérer. Comment est-ce possible ? Comment un auteur peut-il autant manipuler ses lecteurs ? Du point de vue de la technique de narration, ce roman est un pur chef-d'uvre, un brillant exercice de style. Il fait partie de l'infime liste des livres qui ont le don de surprendre celui qui prend la peine de les ouvrir. Et la surprise est de taille.
Malheureusement, on ne peut en dire plus tant le risque de commettre une mégarde est grand. Certains lecteurs ont eu la perspicacité nécessaire pour tout comprendre avant la révélation finale mais il est si bon de se faire surprendre de la façon voulue par l'auteur ! Un dernier conseil avant de commencer : ne feuilletez pas la fin sous peine de tomber sur des informations capitales qui nuiraient à la linéarité du récit.
L'auteur de Mystic River vous attend. Il serait vraiment dommage de passer à côté de ce petit bijou qui ne s'oublie pas de sitôt une fois la dernière page tournée...
Bon voyage sur Shutter island.
[Critique publiée le 01/07/08]
1 3 F R E N C H S T R E E T
Gil Brewer - 1951
J'ai Lu - 188 pages
19/20
Polar des années 50 à l'écriture raffinée
Nous sommes dans l'Amérique des années 50.
Alex Bland, archéologue vivant à Chicago et par ailleurs sur le point de se marier avec sa fiancée Madge, décide de rendre visite à son vieil ami Verne Lawrence, connu à l'armée de nombreuses années auparavant.
Prêt pour une petite semaine de repos en célibataire chez son ami qu'il n'a pas revu depuis longtemps, Alex est accueilli par la femme de Verne. La connaissant déjà pour avoir échangé de nombreuses lettres avec elle au cours des trois dernières années mais ne l'ayant jamais vue, Alex est aussitôt frappé par la beauté de cette femme brune à la peau claire.
Il sera vite mis au parfum de l'ambiance dans cette immense bâtisse retirée dans la campagne non loin d'une petite ville de province. Le couple vit avec la mère de Verne, vieille femme presque infirme. Verne, quant à lui, a beaucoup changé et a l'air éteint, totalement hanté par des problèmes d'argent dans le milieu professionnel. D'ailleurs, à peine aura-t-il accueilli son ami qu'il prendra aussitôt congé pour une semaine de déplacement afin de tenter de sauver sa situation financière. Alex se retrouve donc seul chez Verne avec sa magnifique femme ainsi que la mère.
Bien vite, malgré ses premières réticences, il succombera au charme fou de Petra. Conscient de son erreur, Alex s'empêtrera dans une passion torride, totalement aimanté par le corps parfait de cette divinité. Verne reviendra, mais toujours pressé par des affaires compliquées, il repartira aussitôt, priant son ami de l'excuser et l'invitant à rester se reposer et visiter la région en compagnie de sa femme.
Voulant quitter les lieux dès le début et refuser cette histoire d'adultère, Alex finira par se contenter de l'absence de son ami et tombera à son insu dans le piège de l'amour. Avec Petra, il vivra des moments de folie amoureuse. Il comprendra aussi la charge que représente la vieille mère pour elle, une femme quasiment sourde, peu agréable à vivre et toujours à épier son entourage.
Mais comment les amants vont-ils pouvoir assouvir leur passion ? Alex réussira-t-il à reprendre ses esprits et rejoindre sa bien-aimée à Chicago ? Pourquoi Verne ne voit rien de la réalité ? Comment ne pas devenir fou de Petra ?
Beaucoup de questions dont les réponses seront dévoilées tout doucement à la lecture de ce petit chef-d'uvre... Car ce livre peut paraître à première vue assez classique : un thriller autour d'une sombre histoire d'adultère. En réalité, le texte est extrêmement bien écrit, ne laissant aucun temps mort. Chaque chapitre a son utilité, aucune description inutile n'est amenée, chaque mot, chaque phrase est bien pensé. Ainsi, le texte forme une unité parfaite autour du couple Alex-Petra. Dès les premières lignes, l'intrigue se met en place et le lecteur est happé dans cet univers hitchcockien. Les ambiances décrites sont remarquables, sobres, dépouillées mais totalement efficaces. La psychologie du personnage principal est également dense et très réaliste. Bref, un bijou qui se dévore et où la tension monte crescendo jusqu'au final.
À déguster sur une musique de Herrmann évidemment !
Extrait : « Nous sommes restés assis trois quarts d'heure devant un rôti de buf saignant. J'ai fait la connaissance de la mère de Verne. Pas de doute. Il y avait bien trois macchabées à cette table : la vieille, Verne et le rôti de buf. »
[Critique publiée le 08/10/07]
F U N É R A R I U M
Brigitte Aubert - 2003
Seuil - 349 pages
12/20
Une fin bâclée
Chib Moreno a un métier peu commun, il est embaumeur. Vieillard, chien, chat, tout passe entre ses mains magiques et à chaque fois c'est le miracle : le cadavre devient éternel...
Jusqu'au jour où c'est une petite fille sur laquelle il doit effectuer ce travail morbide. L'enfant d'une grande famille bourgeoise.
Devenant ami avec Aicha, la bonne de leur propriété, Moreno va à plusieurs reprises être amené à côtoyer ce milieu guindé très différent du sien. Il va découvrir une multitude de caractères bien trempés : du père trop propre pour être honnête, à la mère plongée dans une dépression permanente en passant par une ribambelle d'enfants aux comportements parfois troublants. À cela se rajoutent les voisins et amis de cette famille qui apportent leur lot de mystères au moulin.
Le héros va devenir, malgré lui, résolu à en savoir plus sur les véritables circonstances de la mort de cette enfant. Suspense, meurtres, relations amoureuses vont agréablement donner le rythme à ce polar écrit par une française.
Le livre se lit à toute vitesse et nombreuses sont les fausses pistes sur lesquelles l'écrivain s'amuse à nous conduire. C'est peut-être là d'ailleurs où le bât blesse. La fin n'est pas à la hauteur de l'intrigue. On s'imagine volontiers des relations plus complexes entre les protagonistes de l'histoire, une névrose insoupçonnable apparaître au grand jour.
Mais finalement, Aubert ne va pas chercher bien loin la vérité et, somme toute, le dénouement ne déplace pas des montagnes.
Bref, un thriller digne de ce nom mais dont la fin rapidement amenée en quatre pages, laisse un goût légèrement amer dans la bouche...
C U L - D E - S A C
Douglas Kennedy - 1994
Gallimard - 291 pages
14/20
Un voyage en Australie qui tourne au cauchemar
Ce polar nous emmène pour un long voyage en Australie, pas vraiment touristique.
Nick, journaliste américain, décide de casser la monotonie de son existence en prenant l'avion pour le continent des kangourous. Décidé à traverser l'Australie du nord au sud, il achète sur place un Combi VW et se lance sur la route.
Il rencontrera une fille, Angie, qui deviendra sa compagne. Mais Angie se révèle être une vraie garce : elle plonge Nick dans le sommeil et prend le volant pour une destination perdue. Nick se réveillera en plein désert, dans une communauté de fous. Pris au piège par une famille qui a décidé de rester vivre dans une ancienne ville minière désaffectée en plein cur du Bush australien, le héros de ce roman se verra demander en mariage par Angie pour agrandir la famille. Face à ce clan de marginaux cinglés, il n'aura de cesse de trouver une solution lui permettant de quitter cette souricière...
Cette histoire se lit rapidement et accroche le lecteur dès la première page. Kennedy joue avec les nerfs du lecteur en l'enfermant dans cet huis clos palpitant. On retrouve ici un univers à la Brussolo : un personnage livré à un univers totalement baroque et pourtant bien réel.
L'idée originale aurait peut-être pu déboucher sur un livre plus long avec davantage d'événements et de développements autour de la famille d'Angie.
H A R J U N P Ä Ä E T L ' H O M M E - O I S E A U
Matti Yrjänä Jnsuu - 1993
Gallimard - 430 pages
12/20
Un rythme un peu laborieux
L'auteur de ce polar est inspecteur à Helsinki. Il décrit dans ce livre un milieu qu'il connaît bien puisque l'action se déroule dans la capitale finlandaise et relate les aventures d'un inspecteur nommé Harjunpää. Celui-ci est confronté à des cadavres, des braquages de banques, des détraqués sexuels, ...
Le récit est classique et manque un peu de rebondissements. Les premiers chapitres donnent l'eau à la bouche mais l'action se déroule lentement au fil des pages et les événements tardent un peu à arriver. De plus, la fin peut laisser le lecteur pantois en lui donnant l'impression que l'auteur s'en sort par une queue de poisson.
Dernière mise à jour :
[ - Site internet personnel de chroniques littéraires. Mise à jour régulière au gré des nouvelles lectures ]
Copyright MAKIBOOK - Toute reproduction interdite
contact [at] makibook.fr